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Biographie
C'est à Montréal, Québec, en 2012 que se forme le trio Big│Brave. Pratiquant dans un premier temps un folk minimaliste, le groupe change de cap rapidement pour s'aventurer vers les lentes saturations du doom expérimental. Big│Brave assume depuis ses débuts la singularité de jouer avec deux guitares, une batterie mais pas de basse.
Après un premier LP, Feral Verdure, auto-produit (2014), le trio signe chez Southern Lord pour la sortie de son deuxième album, Au De La, en 2015. S'ensuivent une première tournée européenne et de nombreuses dates en support de Sunn O))).
Forts de ce succès grandissant, Robin Wattie (guitares et vocaux), Mathieu Bernard Ball (guitares) et Louis-Alexandre Beauregard (drums) sortiront le 15 septembre 2017, toujours chez Southern Lord, leur troisième LP, intitulé Ardor.
Une tournée européenne est prévue à l'automne...Le quatrième album du groupe, A Gaze Among Them, est annoncé en mai 2019.
Pas évident pour les canadiens de Big│Brave de donner une suite au somptueux Ardor, sorti en 2017, qui avait fort justement figuré dans de nombreux « tops » de fin d'année. Cet album marquait l'aboutissement d'un processus, engagé avec Au De La (2015), qui visait à faire coexister doom et drone sur un mode minimaliste.
Alors, pour la suite, l'on se trouvait titillé par cette peur d'avoir connu le meilleur et de vouloir éviter le pire ; cette peur du retour dans le rang. Et puis il y a cette tournée du printemps 2018 où le groupe jouait chaque soir un « unknown title »* d'une dizaine de minutes, que l'on avait bien du mal à appréhender en une seule écoute et en condition live. Mais déjà une petite musique qui répétait que Big│Brave avançait beaucoup plus vite que ses fans. Un coup d'avance. Et puis on a lu les news, on a vu les photos officielles et le groupe est désormais un duo. C'est Loel Campbell qui a enregistré les parties de drums... On se dit que ce n'est pas évident de remplacer Louis-Alexandre Beauregard, maître des silences contaminants et des interstices réparateurs, qui mettait en jeu l'humanité toute entière à chaque coup sourd sur sa caisse claire. Et puis enfin, il y a cet artwork, splendide mais coloré. Élégant mais coloré. Le groupe canadien, « sombre mais heureux » selon le fameux tag, était-il devenu « lumineux mais sombre » ou « phosphorescent mais incandescent » ? Bref on s'inquiète. Un peu.
Et puis arrive A Gaze Among Them, quatrième LP de Big│Brave. Et là, une seule écoute suffit à faire s'évaporer nos craintes les plus paranoïaques : une réussite absolue ! Le premier titre disponible à l'écoute, Sibling (paradoxalement situé en dernière position de la tracklist de l'album), rappelle Ardor à plus d'un égard et tisse un lien avec le passé récent. Une intro noise-drone qui fait place à une batterie lourde et « scandée » à laquelle s'adossent rythmiquement deux guitares saturées. Un gros break vers 3'20'' puis un silence... Un retour au même, des vocaux syncopés et un outro tout en légèreté. Le fan est presque dans sa zone de confort.
Les quatre premiers titres peuvent alors révéler l'évolution du groupe ; ce vers quoi il lui semblait urgent d'aller afin de ne pas risquer la répétition ou l'auto-plagiat. A Gaze Among Them choisit le chemin de la synthèse qui absorbe pour mieux rebondir ; un condensé de toute une carrière qui ouvre l'écriture musicale; qui promet l'avenir.
La voix, sublime – pourquoi cela changerait-il ? - , de Robin Wattie est plus présente, quantitativement. Émotionnellement. Elle explore ses limites et se permet quelques « explosions » (Muted Shifting Of Space), quelques séances d'hypnose (Holding Pattern) ou de méditation presque chamanique (This Deafening Verity).
Les guitares de Robin et de Mathieu Ball s’acoquinent avec un noise-drone plus épais (Muted Shifting Of Space), plus expérimental (Holding Pattern), plus ambient (This Deafening Verity) et surtout plus improvisé, sur Body Individual, titre phare des audaces nouvelles de Big│Brave où semblent s'agréger toutes leurs idées musicales à venir.
Et cette batterie, à propos de laquelle nos craintes paraissaient les plus légitimes ? Elle est plus rapide que sur les deux précédents albums, plus violente quelquefois mais se trouve exactement à sa place dans ce nouveau processus de création qu'a adopté le groupe. Loel Campbell peut tout faire avec ses fûts et change de rythme, voire de style avec une sincérité et un engagement presque mystique.
Et comment ne pas insister sur Body Individual, titre sur lequel Robin invoque plus qu'elle ne chante et où les drums de Loel arrivent doucement pour se poser en une longue improvisation presque free-jazz ; où la guitare de Mathieu trouve les plus invraisemblables angles avec son ampli pour provoquer les réverbs les plus profondes... magique !
Reste cette assourdissante vérité, This Deafening Verity, courte composition drone-ambient qui laisse Robin Wattie appeler, à la façon d'un chamane en quête d'absolu, toutes les sources de l'univers puis s'arrête, net, sans crier gare ; comme pour nous faire saliver à l'idée de tout ce que Big│Brave sera capable de nous servir dans un futur prometteur...
Un album sublime. Peut-être le meilleur des canadiens.
Comme quoi, les à priori... (Sortie le 10 mai chez Southern Lord)
*Holding Pattern
A écouter : Body Individual, This Deafening Verity
Après la sortie, en 2015, de leur album révélation Au De La et une tournée en support de Sunn O))), le moins que l'on puisse dire est que le trio montréalais Big│Brave a réussi à susciter une véritable attente autour de son nom. De retour avec un troisième opus intitulé Ardor, le groupe organise un peu plus encore les structures de son doom – drone fait de feedbacks, de reverb et de distorsions en un grand tout qui, pour démesuré qu'il puisse paraître, n'en est que plus proche de l'excellence. Démesuré ? Trois titres seulement pour plus de quarante minutes d'expérimentation. Excellence ? Big│Brave excelle dans l'art de l'organisation ; au point de réussir le tour de force de calibrer les guitares, les drums et les vocaux autour d'une nouvelle unité de temps sonore qui redéfinit tout. Un titre de treize minutes ? Qu'à cela ne tienne. A la deuxième écoute, on a déjà les points d'orgue en tête. Et on y retourne. Encore. Car Big│Brave excelle dans l'art de la composition, disposant de cette faculté d'organiser les parties musicales d'une manière si juste (sur Sound , titre d'ouverture par exemple) et si inspirée que les détails s'estompent au profit de l'ensemble et que l'ensemble rappelle discrètement chaque détail. Sound et Borer proposent des approches structurelles fort proches, où les guitares et la batterie dessinent un cycle rythmique répétitif autour duquel vient se lover la voix toute en scansion de Robin Wattie, tandis que Lull offre un lent dispositif de montée en tension, presque imperceptible, jusqu'à une résolution finale d'une gluante épaisseur « dronesque ».
Mais Big│Brave excelle par dessus tout dans la maîtrise des techniques. Qu'il suffise de voir le groupe sur scène pour apprécier à quel point Mathieu Bernard Ball génère les feedbacks et en gère la destinée, trouvant les angles les plus improbables entre sa guitare et son ampli, jouant de son corps pour en contrôler le moindre effet ; pour apprécier à quel point Louis-Alexandre Beauregard cogne sur sa caisse claire, fait trembler sa hi-hat comme si c'était le dernier geste de sa vie. Il donne tout, mais il peut reprendre, comme bon lui semble. Alors il cogne puis étouffe la persistance du son... Et si Robin Wattie sature ses riffs de guitare jusqu'aux confins de l'hypnose sonore, c'est sa voix, miraculeuse émancipation lyrique presque issue d'une improbable rencontre entre Bjork (pour la douce folie) et Sinead O'Connor, période The Lion and The Cobra (pour l'art de la scansion syncopée) qui intime la brisure rythmique définitive. Alors, tel cet arc bandé de quatre cordes lâchant sa flèche, lorsque tous les instruments se taisent, à l'unisson, pour redémarrer aussitôt, alors entend-on les micro-silences. Des silences bruyants dont on ne connaîtra probablement jamais l'origine : faut-il y entendre tout ce que le groupe, exténué, n'a pas eu la force d'ajouter ou faut-il imaginer qu'il existe des profondeurs musicales desquelles il paraît impossible de faire remonter la moindre note vers la surface...
Ardor dit tout cela, et plus encore, à celui qui se laisse emporter. A celui qui sait aussi écouter les silences... Brillant.
A écouter : Borer
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