Avec Theory of Machines (2006), Ben Frost s'était révélé comme l'un des acteurs les plus intéressants de la scène electro. Poursuivant un travail de fond sur la puissance visuelle du son et l'enchevêtrement des genres musicaux, l'Australien avait émigré en Islande et rejoint le collectif Bedroom Communauty, initié (entre autres) par Valgeir Sigurðsson, fameux producteur dans son pays (on lui doit notamment Lost in Hildurness de Hildur Guðnadóttir, Medúlla et Vespertine de Björk, Finally We Are No One de múm ainsi que les deux derniers albums de Frost).
Ainsi accompagné, Ben Frost s'est frotté à d'autres esprits (il a notamment travaillé avec Amiina sur la B.O de In Her Skin; le quatuor étant également présent sur l'album) et a multiplié les collaborations et les projets afin de diversifier au maximum ses influences et élargir sa palette créative.
Cela se ressent- se vit- sur By The Throat. L'album possède une aura cinématographique qu'il devient rapidement difficile de qualifier à l'aide de genres. Et si Killshot s'ouvre sur un bruit blanc, c'est pour bien signifier l'étendue du spectre sonore que parcourt Frost tout au long de sa plongée. D'emblée, les guitares grésillantes et assourdissantes plongent l'album dans le noir, à la limite d'un drone angoissant alors que les loups hurlent au loin (The Carpathians). Une introduction marquante qui doit beaucoup à Sunn O))) ou KTL. L'auditeur est alors à l'orée de la forêt, livré à lui-même en milieu hostile, la faible lueur de phares venant à peine éclairer les flocons qui tombent dru, inlassablement, dans la nuit. By The Throat prend à la gorge, immerge dans la crainte et l'incertitude. Que ce soit par son minimalisme (Leo Needs A New Pair of Shoes, magnifique dialogue piano / banjo, O God Protect Me dont la seule pulsation obsédante glace le sang) ou l'aggressivité de ses sonorités qui emplissent l'espace (Híbakúsja, qui sombre peu à peu dans l'inconnu; le final dantesque de Through The Roof of Your Mouth), le disque maintient une dualité crispante qui oblige au repli sur soi, comme seul point de repère.
On connait l'apport des cordes du quatuor Amiina, dont Sigur Rós n'a cessé d'exploiter la force dramatique ( ( ) doit son ambiance en grande partie grâce aux Islandaises et Von aurait tout à gagner à être réinterprété par elles). Ben Frost, à son tour, fait du groupe une véritable toile sur lequel il vient peindre ses fréquences sonores (les cuivres, les cliquetis, les cordes que l'on fait vibrer sur Peter Venkman, Pt.II). Sans aucun doute, By The Throat aurait pu être la bande originale d'un film d'horreur tourné par David Lynch (songez aux déambulations labyrinthiques de Inland Empire) ou celle des nouvelles morbides de Michael Gira (Swans) auquel Frost fait d'ailleurs référence (Studies for Michael Gira). Pour être exhaustif, mentionnons que derrière ces visions troublantes se cachent également Jeremy Gara (ex-The Arcade Fire), le groupe de grindcore Crowpath et Nico Muhly aux arrangements. Une diversité de featurings qui reflètent justement les variations sonores auxquelles confronte By The Throat.
Eprouvant mentalement et physiquement, obsédant jusqu'à la paranoïa, By The Throat est une expérience à couper le souffle, un cauchemar sans lendemain. Ben Frost s'insinue dans les confins de l'imagination pour mettre sa technique au service d'une Oeuvre abyssale et viscérale. Un voyage cathartique au bout de la nuit dont on ne ressort pas indemne alors que s'amène l'ombre menaçante des machines.
A écouter : Au casque, seul, dans le noir.