Si l’on peut considérer le Black Metal comme un mouvement ayant en grande partie émergé de la critique des dogmes religieux, il est aujourd’hui curieux et fascinant de constater que bon nombre de formations actuelles se plaisent à jouer de cette image liturgique, devenue quasiment provocatrice par un habile retournement des codes. Et parmi ce foisonnement de groupes : Batushka, entité polonaise dont les membres restent inconnus à ce jour, bien que l’on sache qu’il s’agisse de membres de formations célèbres (selon Encyclopedia Metallum). Litourgiya, leur premier opus sorti il y a un an, recèle de curiosités et d’attraits, mais constitue également un album chronophage en termes d’appréciation : seules de longues écoutes attentives permettent de saisir la complexité de ces antiques litanies.
Sonnent les guitares, frémissent les chaînes d’acier et résonnent les chants grégoriens : Yekteníya 1 lance la machine Batushka. On découvre au fil des morceaux une construction facilement identifiable et étrangement déconcertante, mêlant la chaleur des chants religieux au sifflement glacial des screams, que l’on pourrait d’ailleurs rapprocher à ceux de Gaahl (Gorgoroth). L’ambivalence proposée par ce schéma est d’ailleurs renforcée par la partie instrumentale, notamment par les guitares, martelant pour la plupart des pistes, un rythme hypnotique et sulfureux. Yekteníya 3, que l’on peut considérer comme la pièce maîtresse de ce Litourgiya, se détache quelque peu du reste du disque, en proposant un riff principal teinté Post-Black voire même atmosphérique, et qui par ses accélérations et ses montées en puissances tout en contrepoints s’avère très enjoué et efficace.
Jouant de ce côté rituel, les compositions au chant black parfois secondaire se suivent en un flot intarissable, délivrant leur son massif et étouffant. Certains rapprocheront la formation polonaise aux tchèques de Cult of Fire, pour la similarité de la démarche, mais l’on pourrait aussi penser au dernier-né de Rotting Christ (Rituals), bien que la musique des grecs soit plus blasphématoire dans son essence. On ajoute à ce mélange bouillant une production propre et nette mettant en avant la chaleur des prières ainsi que quelques accents Doom plus ou moins marqués selon les morceaux.
Fruit de l’expérience acquise dans d’autres formations, les membres de Batushka nous placent devant une œuvre longuement mûrie. Très solennelles, tout en étant arides et étouffées, les huit litanies de Litourgiya s’enchaînent avec une cohérence mystique, que plusieurs écoutes ne manqueront pas de vous faire découvrir. L’œuvre présente constitue finalement un mélange de cultures et de courants que l’on pourrait, d’un premier abord, croire opposés. Pourtant ici, Metal extrême et inspirations théistes se sont mariés avec force, et ont sûrement donné naissance à un disque qui fera date dans le milieu Black Metal à thème religieux.
A écouter : Attentivement