Dans la série des choses qu’on n’a pas l’habitude d’entendre
tous les jours, voici Krüller (plus fort
dans la langue de Goethe). Sorti chez Relapse Records en février 2022.
On est sur de l'Indus / Drone avec des grosses ambiances Post,
accompagnées de néons qui réalisent une performance de paraitre à la fois
actuelle et de fleurer bon les années 80. Le tempo est généralement lent, les
morceaux longs et on prend le temps de développer, de nuancer, de torturer et
de savourer. Avec Tristan Shone, on est avec un compositeur qui prend le
temps de poser ses ambiances et qui sait comment et pourquoi développer telle
ou telle chose pour avoir l’effet et le rendu qu’il souhaite. On est donc un peu sur le même profil artistique que Damian Master (A Pregnant Light).
L'ensemble est plutôt minimaliste dans l’approche, donc plutôt dans
l’air du temps. On n’est jamais submergé par un trop plein d’informations sonores comme c’est souvent le cas dans ces genres d’expériences si elles sont mal
dosées. La plupart du temps on a une mélodie grave, une mélodie aigue, un
rythme à base de samples industriels auxquels vient s’ajouter parfois une voix
bardée d’effets pour rajouter une dimension dramatique et revendicative. Au
niveau des sentiments évoqués on est quelque part entre le désir, le regret, la
peine et le désespoir. Un cocktail très utilisé dans une partie de l’Indus et
pas des moindres (coucou Nine Inch Nails) même si musicalement on n’est pas
exactement sur le même créneau. Quoiqu’il en soit, c’est bien
amené et ça s’imbrique parfaitement avec la forme musicale choisie par l’auteur.
On avance au fil de l’album dans des troubles qui
s’enchainent, un peu comme si on avançait avec les radars brouillés dans une
espèce d’endroit inhospitalier. On découvre au fur et à mesure que l’écoute
avance, le décor qui nous entoure et on y observe des paysages dignes des
meilleurs films post apocalyptique. Une ambiance de suspens et de doute est tangible à tout
moment et c’est l’une des forces de de Krüller. La fébrilité d’une découverte
incertaine et envoutante est au détour de chaque nouvel arc sonore.
Dans les points un peu moins bons on notera des samples peut-être un peu cheaps, ou trop archétypaux, surtout en ce qui concerne les
percussions. Sur les poussées de chant, on observe parfois que
l’artiste est à son plafond vocal. Ça ne rend pas mal, mais on sent que s’il le
pouvait, il irait un peu plus loin et n’essaierai pas de rattraper comme il
peut en superposant des pistes de chants harmoniques en complément. Comme au
cinéma, quand on ne peut pas faire un plan séquence impressionnant, on fait
quelques coupes au montage pour produire un effet qui vient palier à ce manque
de talent brut. Toujours dans les points un peu moins bon, il n’est pas certain
que Krüller soit le genre d’albums qu’on s’écoute et se réécoute tous les
quatre matins par pur plaisir. C’est une expérience, un voyage. On peut se le
refaire à l’occasion, mais trop souvent, on en perdrait la saveur.
On est quand même sur un album abouti, réfléchi et travaillé,
avec quelques défauts certes, mais si vous souhaitez vous abandonner dans une
ambiance et faire l’expérience d’un voyage en terre désolée, éteignez les lumières,
plongez-vous dans Krüller et partez pour cinquante minutes intenses.