Arabrot serpente inlassablement dans les obscurs interstices entre Sonic Youth et Harvey Milk, rampe insidieusement dans les boyaux laissés vacants reliant Shellac, The Melvins et le metal nordique, morbide et carnassier, jusqu'à creuser sa propre caverne. Véritable viol auditif, Revenge est de ces disques qui établissent le lien du sang entre agressivité et musique. Mais pas que. Revenge achève également de cimenter la place d'Arabrot parmi les groupes les plus inventifs et intéressants du moment. De fait, on pourra toujours s'évertuer, comme ci dessus, à trouver une place bien rangée à ce trio démentiel, il se trouve que cette dernière devrait être irrémédiablement modifiée à chacun des albums, voire à chaque morceau de cette nouvelle livraison dangereusement coagulante.
Décisifs, les premiers instants pointent l'indéniable habileté des norgégiens pour régurgiter sans intermédiaire, comme du sang noir craché sur un drap blanc, leur propos méphistophélique. Il y a d'abord ce beat de batterie terriblement obsédant, saillant et primitif, puis ce riffing parcouru d'échardes qui ne cessera d'évoluer, et enfin ce chant maladif et teigneux, dont la flamme semble être directement alimentée par la combustion de nos maigres cervelles, dès lors sacrifiées. Une entrée en matière électrifiante qui laisse à Arabrot le champ libre pour tailler dans le muscle, comme un tueur sadique et vicieux tailladerait dans les chairs de ses proies terrifiées. Fidèle à sa ligne de conduite, Arabrot ne se plie à aucun schéma et crève l'abcès - au cutter rouillé - en juxtaposant "The Dolorous Years", un monolithe incompressible et central de 12 minutes se clôturant par une longue marche itérative autant dévastatrice qu'aliénante, à "Murder", très brève tuerie noise littéralement assassine, dont les paroles se résume à la répétition de l'invective haineuse la plus simple et évidente ("Die !"). Arabrot n'écoute indéfectiblement que la voix/voie de ses propres entrailles.
A aucun moment les idées ne se tarissent et le sentiment permanent d'insécurité provoqué par Arabrot ne se dissipe. Dans les tirades les plus ralenties, comme sur l'inquiétant crescendo rituel de "The Pilgrimage" ou le final doom rock de "The Primrose Path", Arabrot pompe sournoisement son fluide vital dans les atmosphères troubles à couper au couteau. En ce qui concerne les offensives à la nervosité exacerbée, c'est dans leur réserve intarissable de riffs que les norvégiens puisent, leur insufflant le poids d'un tas de cadavres ("The Wretched Child") ou un groove scandaleusement accrocheur, à l'image de "End Of First Chant II", l'incontestable tube noise rock de Revenge dont le clip freaky synthétise parfaitement l'état d'esprit.
Ne requérant aucunement les artifices d'une production crasseuse, car ici tout est minutieusement restitué jusque dans les moindres détails, pour atteindre un taux suffisant de nihilisme et de perversion, Revenge percute de plein fouet et achève de cultiver les terrains qu'Arabrot avait pu laisser en jachère sur ses précédents, et excellents, disques.
A écouter : End Of First Chant II - The Wretched Child - The Pilgrimage - The Most Sophisticated Form Of Revenge