Premier album après le magnifique I Am a Bird Now (2005), The Crying Light a sensiblement été composé dans la même période mais avec un état d'esprit totalement différent. Malgré son titre léger, I Am a Bird Now révélait les tiraillements internes d'Antony Hegarty, perdu entre ses personnalités, atteignant de dérangeants pics de mélancolie. Quelques années plus tard et un EP expérimentant certaines nouvelles choses (Another World en 2008 et le morceau très free jazz "Shake that Devil"), la lumière se fait. Une aveuglante lueur dans laquelle semble se consumer Kazuo Ohno, danseur japonais, figurant sur la pochette de l'album.
The Crying Light semble prendre le contrepied de son prédécesseur. Les arrangements se font plus délicats, plus éthérés ("One Dove"), les cordes sont réduites au minimum, la voix d'Antony, toujours aussi fébrile, se veut plus légère ("Epilepsy Is Dancing"). Certains moments frôlent jusqu'au lumineux comme "Daylight and the Sun" où le chanteur clame, en choeur, son envie de sortir des ténèbres, mettant dans chaque note de piano, un espoir aveugle (ou aveuglé?) qui redonnerait presque courage. Une sorte de paix retrouvée où tout prend corps sous une même harmonie; "Everglades" en étant le témoignage final au son de flûte buccolique.
L'album dans son ensemble, derrière la lumière, ne reste cependant qu'un appel qui cherche en vain son écho. Si les conflits intérieurs paraissent apaisés, il reste maintenant à l'homme à trouver sa place dans le monde, à ne faire qu'un avec son environnement. Ca ne sera vraisemblablement pas sur cette Terre ("Another World") puisque si l'espoir de changement est naïf, le constat de la défaite est amer. Il n'y a plus rien à espérer de cette vie, l'ambiance religieuse qui se dégage de certains titres ("Dust and Water", "Kiss My Name" notamment) met en avant la volonté et la nécessité spirituelles de se réfugier ailleurs. The Crying Light s'articule tout entier autour de cette oxymore, chantent les larmes sous couvert de notes optimistes ("Kiss My Name", encore, et son violon virevoltant). Un clair obscur d'arrangements minimalistes déstabilisant mais très fin et sincère. Une sorte de miroir à Bird avec qui il partage un goût prononcé pour le noir et blanc. La lueur promise n'est qu'un trompe l'oeil - nécessaire, toujours, aveuglante car tellement évidente - qui renvoie à un mirage.
Il ne faut désormais plus attendre ces pointes de tristesse qui lacèrent l'âme mais faire sien un spleen latent, comme on regarde un paysage soumis aux intempéries. Antony danse sous la pluie dans un cercle de lumière qui semble bien lointain mais qu'il garde en même temps précieusement au fond de lui, gorgé de gouttes d'espoir, les yeux levés au ciel.
A écouter : Daylight and the Sun - The Crying Light - Aeon - Everglades