Rares sont les groupes aptes à enfiler les perles comme l'est And You Will Know Us By The Trail Of Dead. En quatre albums, le combo texan a su mettre en place un style bien particulier où s'emmêlent rage sonique et poésie, le tout régi par Conrad Keely, véritable centre nerveux au sens propre et figuré.
Enregistré à Austin en 1998 sur le label Trance Syndicate Records, le premier album éponyme de Trail of Dead n'est peut-être pas le meilleur - pour celà voir plutôt du coté de Madonna et surtout de Sources, Tags and Codes - mais il a le mérite de poser les bases d'un punk rock aux contours, certes, définissables, mais tellement variés qu'il peut paraître vain voire arbitraire d'essayer de le confiner dans un style particulier.
Malgré cette diversité, la musique de Trail of Dead n'en est pas pour le moins homogène. Le groupe met à contribution sa rage, son énergie et son talent dans l'exécution de morceaux à la ligne de conduite radicalement noisy ("Richter Scale Madness", "Ounce of Prevention"), sur lesquelles viennent parfois se greffer des tendances plus feutrées fleurant le shoegazing ("Novena Without Faith", "Half of What") ou tout simplement pop ("Gargoyle Waiting").
Trail of Dead manie les ambiances comme personne, surprenant dans ses structures et ses sautes d'humeur. Le groupe illustre son tempérament colérique notamment par l'utilisation fréquente de guitares énervés aux accords noisy, dissonnants - parfois chaotiques ("Prince With A Thousand Enemies") - rappelant le Sonic Youth de Confusion Is Sex ou de Dirty, ainsi qu'un chant très criard, souvent éraillé.
Toutefois, lorsque vient le temps de l'apaisement, les guitares savent se faire plus légères. Adoptant un mode semi-saturé voire quasiment acoustique, les mélodies permettent l'instauration d'une mélancolie, d'une tristesse légère exacerbée par l'adjonction de touches de piano, que survole une voix claire pouvant se muer en chuchotements et en murmures, particulièrement sur "When We Begin to Steal", sorte de balade britannisante aux faux airs des Stranglers, REM ou même Dinosaur JR.
Aussi curieux que celà puisse paraître, le rock de Trail of Dead s'accompagne d'une ambiance épique, romantique, voire kitsch à laquelle n'est pas étranger l'artwork. Passionné de peinture et admirateur des pré-raphaélites, amateur d'Histoire, Conrad Keely met un soin tout particulier à confectionner un écrin à la hauteur de ses compositions. Ainsi, la front cover du livret propose un tableau figurant une scène de bataille - peut-être Hannibal contre les Romains - assez intéressante, mais, avec le recul, relativement sommaire au regard du travail effectué dans les livrets de Sources, Tags And Codes (le portrait de Baudelaire) et de Worlds Apart dont je ne saurais trop vous conseiller de jeter un oeil.
Intense, romantique, poétique, le punk de Trail Of Dead ne fait pas uniquement appel à nos capacités sensorielles les plus primaires mais nécessite également patience et attention. Seules ces deux qualités, qui avec un petit effort peuvent être regroupées en une seule, permettent d'aller au bout et de cerner le génie des texans car ce premier opus ne se donne pas la première fois, il s'apprivoise et chaque écoute procure de nouvelles sensations. En général, c'est la marque des grands groupes et la suite de la discographie démontre définitivement que And You Will Know Us By The Trail Of Dead ne boxe vraiment pas dans la même catégorie que les autres.
A télécharger : "Richter Scale Madness"
A écouter : "Richter Scale Madness", "Ounce of Prevention", "Half of What"