Quel avait donc été mon périple au milieu des tonitruants
Internets, quel typhon d’URL et de scrobbling m’avait mené jusqu’à cet artwork
aux lignes rose et nacre, défendant un nom de groupe et un titre à
rallonge ? « Don’t judge a book by its cover » comme aiment à
nous le rappeler nos amis britanniques. Mais leur vieil adage ne fit pas effet
cette fois : tyrannie du marketing visuel ou caprice fugace de ma cornée
saturée par un Black trop noir, je me lançais une fois de plus vers l’inconnu,
sans vertiges ni attentes, sans peur et sans idée reçue. Ce jour-là encore, mon
cœur s’était arrêté une fraction de seconde, un peu au hasard des dédales
numériques. L’objet m’était étranger, mais comme par pressentiment, je songeais
déjà avec délice que je m’étais égaré dans les grandes allées sombres et
presque inexplorées de l’intarissable discothèque de la toile.
Dès le premier morceau, il était impossible de se tromper.
C’était comme être happé, et devenir l’heureux
prisonnier d’un tourbillon sonore duquel le silence était exclu ;
pour geôliers, ces riffs sans fin emplis de grandeur, étirés et parfois teintés
d’une mélancolie profonde (« Never Complete », titre éponyme),
cadencés par une batterie boudant blast-beats et autres patterns du genre pour
des tentatives loin des conventions. Et comme si la noirceur du chant ne
suffisait qu’à produire un Black Metal standard aux flancs déjà osseux et vieux
de deux décennies, des claviers aveuglants bercaient ce microcosme sonore d’une lumière renfermant
à elle seule la Vie et la Beauté (« Hearts Of Light », « Sepia
Mountains For Her Lament »).
Qu’avait-elle donc d’obscur, de ténébreux, d’impie ou de
malfaisant cette œuvre qui semblait décidément destinée à tromper son petit
monde ? Eh bien rien. Si elle ne faisait pas défaut en matière d’intensité
(principalement grâce au chant), elle était en revanche totalement dénuée de
quelconque volonté de nuire. Se plonger dans les méandres de Try Not To Destroy Everything You Love signifiait aussi accepter d’apprendre, et accueillir ces
élans mélodiques poignants aux échos très Post-Rock/Shoegaze (« Starlit
Spirits »), ou ces notes de piano galopantes avant le final tout en
sublime violence de « Closer ».
A l’issue de ce disque il me sembla avoir baigné
trois-quarts d’heure durant dans un environnement de coton et de lait-fraise
amniotique, où la noyade était douce et sans douleur (claviers finaux
d’ « Avoiding Winter »). A demi-mot, les Hollandais invitaient à
fermer les yeux et à laisser le monde derrière soi, tant l’aspect Atmosphérique
ouvrait des voies aériennes. Une élévation,
une purge de l’âme, un voyage que l’on voudrait sans retour.
Comme d’autres formations Post-Black récentes, (Deafheaven,
Liturgy, Alcest, etc…), An Autumn For Crippled Children malmène les codes
esthétiques et musicaux solidement établis d’un genre pourtant intransigeant.
Adieu, interminables hivers boréals de la fin du siècle dernier, place aux
vagues irradiantes de plaintives et charmeuses décibelles, pourfendant le
nocturne Black 90’s en plein cœur, d’une aurore au spectre infini.
Le Noir Metal a beaucoup péché, voici venir sa rédemption.