Etrange. Tel est le premier mot qui vient à l’esprit lorsqu’on se trouve avec cette oeuvre entre les mains. Un chien dépourvu d’une de ses pattes nous regarde d’un air abattu, alors qu’un drôle de joueur de ukulele muni d’autant de pattes que l’animal (!!) arbore lui un sourire radieux. Etrange, en effet. La musique n’est pas en reste à ce niveau, puisque l’on a affaire à l’album le plus décalé d’Alice In Chains.
Il débute in medias res, comme le veut apparemment la tradition (cf We Die Young sur Facelift et Them Bones sur Dirt), mais au lieu d’un riff grunge ravageur, c’est un riff malsain et dérangeant qui s’insinue vicieusement jusque dans nos oreilles. Justement à propos de grunge, ce dernier est mort et enterré depuis bien longtemps ; nous sommes en 1995 et le groupe s’est ici considérablement marginalisé en empruntant bien plus au métal ou au stoner, comme en témoignent des titres comme Brush Away ou Sludge Factory perles sabbathiennes soutenues par le chant d’outre-tombe de Layne Staley et les ululements effrayants de Jerry Cantrell, qui une fois de plus s’expriment sur les drogues et le mal de vivre comme jamais auparavant. Ceci s’explique par le fait que Staley est de plus en plus dépendant, que le groupe n’a pas fait de concert en 3 ans et cela se ressent jusque dans l’artwork utilisé pour l’album, constitué de gravures bizarroïdes et obscures pour la plupart issues du Dictionnaire Infernal (encyclopédie du XIXème siècle traitant de démonologie et autres sciences occultes). Le témoignage le plus poignant de cette condition est Head Creeps, le seul titre de cet éponyme entièrement écrit et composé par Staley, morceau qui respire le mal-être et la souffrance, mené par une rythmique lourde et des vocaux hallucinés.
On pourrait tout également s’attarder sur chacune des chansons de cet album tant elles sont empreintes de tourment et admirablement composées, de la balade dépouillée qu’est Heaven Beside You à l’énergique So Close, en passant par le saccadé et désespéré God Am ou par le psychédélique Nothin’ Song (où le beurre de cacahouète attaque le cerveau…). Mais la plus belle partie de l’album est à réserver aux deux chefs-d’œuvres qui la concluent. Le premier d’entre eux est le fantastique Frogs, morceau poisseux, fangeux au possible, d’une noirceur absolue évoquée par les arpèges de génie de Jerry Cantrell et de Mike Inez ainsi que la batterie de Sean Kinney, ici toute en subtilité ; le morceau se termine d’une manière déroutante : en effet, les dernières minutes semblent avoir été enregistrées pendant un bad trip de Layne qui prend véritablement aux tripes. Pour terminer cet incroyable album, une ode mortuaire résonne dans l’intro d’Over Now, poursuivie par une chanson émouvante, où la guitare de Jerry Cantrell gémit, comme une triste prémonition pour l’avenir du groupe…
« Yeah, it’s over now ».
Génial. Que du bon, Jerry Cantrell au chant est vraiment au top du top et véhicule tellement de tristesse et de rage. C'est le meilleur du grunge (au dessus de nirvana).