Quand on parle de grunge, il y a deux écoles : les puristes qui pensent que ce mouvement américain (car c'était bien un mouvement contestataire à l'origine) est mort et enterré avec sa figure emblématique en avril 1994, et les autres, qui continuent à considérer des groupes comme Pearl Jam, Alice In Chains et Soundgarden pour ne citer que les plus connus, comme les dignes représentants "post mort de Kurt Cobain" de ce genre musical qui connut son apogée dans les années 90. Appelons cela grunge, rock alternatif, tout ce que vous voulez, rares sont les albums et les groupes pouvant se targuer de suivre, au moins musicalement, ce qu'il se faisait de mieux en la matière dans les années 90. La raison est simple : tous ces groupes (ou presque) ont cessé leurs activités, été évincés du devant de la scène ou oubliés du public : entre le split de Soundgarden en 1997, la mort de Layne Staley en 2002, le manque d'inspiration de Mudhonney fin 90's ou encore les Screaming trees qui se sont séparés en 2000, il s'en faut de peu pour que les gens de la première école n'aient raison. Seul Pearl Jam a réussi avec brio à passer le cap des années 2000. Dix ans plus tard, alors qu'on ne les attendait plus, Soudgarden, Alice in Chains et Hole(lol ?) reviennent sur le devant de la scène. Le retour du grunge ? On ressort nos chemises à carreaux et nos coupes crasseuses ? Sans aller jusque là, attardons nous sur Black gives way to Blue, dernier album en date d'Alice in Chains depuis la mort de leur chanteur exceptionnel Layne Staley.
Non franchement, jamais je n'aurais cru qu'ils reviendraient, avec la mort (par overdose d'héroïne) du chanteur, une page semblait avoir été tournée, nous perdions là une figure emblématique de la musique rock alternative des années 90 et une voix magnifique, ainsi qu'un des meilleurs groupes de son temps. Et on les comprend, revenir sans Layne, voilà une décision certainement difficile à prendre, comment peut on décemment remplacer un chanteur aussi brillant... Hé bien voilà une question qu'il ne faudra désormais plus se poser. Je vous rassure ils n'ont pas trouvé un sosie ou réussi à synthétiser sa voix, ils ont simplement fait du Alice in Chains, sans se prendre la tête, sans fioritures, à l'ancienne j'ai presque envie de dire. Oui, Alice in Chains sans Staley n'est plus tout à fait Alice in Chains, oui c'est bel et bien un come back, et non ils n'ont pas vendu leur âme au démon marketing. Black gives way to blue est un vrai album d'Alice in Chains, tout y est : ambiance malsaine, atmosphère pesante, ballades acoustiques sirupeuses, riffs puissants et mélodies aériennes, on retrouve dès les premières notes les caractéristiques sonores de la formation de Seattle, un son puissant, glauque et étouffant, qui déjà à l'époque leur a permis d'être rangés dans la catégorie "grunge mais pas tout à fait" : grunge parce que c'était la mode, mais surtout heavy metal / hard rock parce que leur son était bien loin des cacophonies plaintives (mais jouissantes) d'un groupe comme Nirvana. Cette note
heavy faisait toute la différence, et on la sent bien dès les premières secondes de All secrets known, le premier titre de l'album.Et quelle introduction, Cantrell (le guitariste) qui signe ici toutes les compositions fait passer le message à merveille :
Hope,
A new beginning
Time,
Time to start living -
like just before we died.
There's no going back to the place -
We've started from.
C'est bien résumé, on recommence, on ne regarde pas en arrière et on avance. Après une courte introduction planante, Cantrell se décide à montrer que la partie chant de l'album bénéficiera d'un soin tout particulier : mélodie soignée, chant hypnotique, et surtout, on ne s'en aperçoit pas tout de suite, mais une deuxième voix pointe le bout de son nez sur le refrain, pour former un duo parfaitement maitrisé. Il faudra désormais compter sur William Duvall, nouveau chanteur / guitariste venu s'intégrer à la formation, qui même s'il ne remplacera jamais Layne Staley au chant, s'en sort plus que bien, mention spéciale à cette espèce de symbiose entre Duvall/Cantrell vraiment magnifique. Check my brain, deuxième morceau et single de l'album est un morceau dans la plus pure tradition : riffs heavy, refrain entêtant, et rythme syncopé, un hit en puissance. L'album fait la part belle aux morceaux musclés, qui même s'ils ne sont pas aussi "heavy" que pouvaient l'être Them bones ou We die young en leurs temps, sont tout de même très appréciables, l'album ne tournera donc pas musicalement uniquement autour du pathos, et ça fait plaisir. Last of my kind est dans cet esprit là, et prouve que Duvall a bien le talent requis pour intégrer un tel groupe. Your decision, quatrième chanson et première ballade de l'album est vraiment très réussie, dans la même lignée qu'un Nutshell son refrain est vraiment touchant, "no one plans to take the path that brings you lower and here you stay before us all and say it's over " une petite pépite de mélancolie avant le déferlement d'énergie qui approche. A looking in view est une des meilleures chansons de l'album, atmosphère oppressante, riffs dévastateurs et voix s'entrechoquant à l'unisson, donnant l'impression d'être au coeur du cyclone sonore que constitue cette chanson riche et puissante. On ne s'attardera pas sur When the sun rose again, une ballade sans grand intérêt. Le plus intéressant est à venir : Acide Bubble. Il y a toujours eu sur les albums d'Alice des chansons atypiques (Love Hate Love, Dirt, I stay away), des chansons qu'on n'oublie pas, jamais vraiment des hits, jamais vraiment mises en avant, juste des chansons excellentes. Acid Bubble fait partie de ces chansons. Intro aguicheuse toute en lourdeur, complaintes vocales, et refrain magnifique. Rien d'exceptionnel jusque là me direz vous. Puis au bout de quelques minutes, Cantrell en chef d'orchestre inspiré emmène le groupe vers une sorte de bridge à la guitare et nous pond là un passage heavy inatendu, avant de reprendre cette déprimante chanson à la noirceur délectable où le groupe se montre plus incisif que jamais. Bravo !
Take her out et Private Hell, avant dernière chanson de l'album, même si elles ne sont pas des chansons exceptionnelles, témoignent du talent musical qu'a développé le groupe pendant toutes ces années, les solos de guitare y sont d'une précision et d'une beauté saisissantes. Enfin, Black gives way to Blue vient clôturer ces 55 minutes de pur bonheur, en laissant une petite note d'espoir au beau milieu de cet océan de noirceur et de sonorités cinglantes.
Un petit point sur le thème abordé, évidemment vu ce qui leur est arrivé, les circonstances tragiques du décès de Layne Staley, la mort est omniprésente tout au long de l'album, et le moins que l'on puisse dire c'est que sur le plan émotionnel, tout est là pour vous faire vibrer : que ce soit les paroles vraiment touchantes, ou la musique qui oscille entre ambiance malsaine et mélancolie étouffante, c'est une réussite émotionnelle incontestable, et tous les fans de la première heure s'en rendront compte...
Alice in Chains est de retour, c'était inattendu, mais une chose est sûre, c'est un come back des plus réussis, il fallait des couilles pour sortir un album après la mort de Staley, et incontestablement le pari est réussi. Peu importe l'étiquette, grunge, rock, rock alternatif, heavy, il faudra désormais compter sur eux. Un des meilleurs albums du genre depuis plus d'une décennie !
Très bon retour.