Alexisonfire a conçu cet album comme si c’était son dernier, comme s’il n’y aurait pas de suite. Il a donc fallu tout donner, ne rien omettre, pour pouvoir partir sans regret.
Bien sûr, de cette production de 2003 émane une atmosphère qui n’est pas sans rappeler le post-hardcore de Thrice ou les sons torturés d’Envy, mais il y a comme quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau, de spontané. La galette ne sonne en rien comme une copie, au contraire, son exploration révèle une création tout à fait singulière.
Alexisonfire est un album qui crépite puis explose, un album qui couve sous la lenteur de ses premières notes une déferlante d’énergie qui se répand avec une férocité teintée de grâce.
Le son est impulsif, brutal, syncopé. Une rage quasi-animale s’en échappe, avec des cris proches d’aboiements, des parties musicales sauvages, éclatées, qui crèvent les enceintes.
« 44 Caliber Love Letter » se présente comme la première porte qui mène à l’antre d’Alexisonfire, un premier couloir de deux minutes sans aucun mot qui conduit des guitares acides jusqu’au déchirement sonore. Le morceau est composé en crescendo, par une succession de lignées d’abord atmosphériques puis corrosives, symbole de la double facette du combo d’Ontario. Car c’est sur cela que repose en grande partie la touche de AOF, sur l’architecture double de ses compositions. D’un côté la voix de Dallas Green, lancinante et envolée et de l’autre celle de George Pettit, hurlante et déchirée(ante). Beaucoup de groupes du genre emocore/screamo fonctionne sur cette alternance, quitte parfois à sombrer dans la caricature, mais il n’en est rien ici. Les voix, l’une claire et l’autre criarde, s’entrecroisent, se superposent et se donnent à chaque fois un nouvel élan. Le screamo reprend ici la fonction quasi cathartique qu’Envy avait élaboré. Il n’est pas question de crier pour crier, mais de le faire car il apparaît qu’il n’y a pas d’autre moyen de s’exprimer, parce que ce qui est ressenti ne peut sortir autrement. Pettit étouffe et crie pour se libérer (“I broke through this hollow shell that once held me so tight I couldn't breathe�?), crie pour expier la douleur.
Double visage aussi car l’album ne se contente pas de frapper fort et violemment. AOF aime souffler sur ses propres braises et offrir des éclaircies : solo délicat de guitare, pont aérien ("A Dagger Through the Heart of St. Angeles") finish au piano ("Adelleda"), le quintet est un groupe de contraste, d’alternance, de montées fulgurantes et d’accalmies. Le maître mot semble le refus de la monotonie. Variations dans les compositions, utilisation modérée mais très efficace d’effets vocaux (conclusion de "Polaroid's of Polar Bears"), diction saccadée, structures complexes, parties ultra technique. AOF livre un répertoire extrêmement riche et talentueux. Sans donner aucune sensation de lassitude, Alexisonfire s’achève au bout de 42 minutes, en apothéose, d’abord sur la vibrante « Little Girls Pointing and Laughing » puis sur l’épilogue "Pulmonary Archery" dont la structure intro atmosphérique/montée/explosion renvoie à "44 Caliber Love Letter".
En enregistrant ce premier jet, et contrairement à ses incertitudes initiales, AOF n’allait pas signer son unique œuvre mais bien celle qui allait les voir consacrer d’emblée comme un des meilleurs groupes du genre. Au final, Alexisonfire n’est assurément pas un album grand public ; le chant crié et l’ambiance furieuse des onze pistes en feront reculer plus d’un. Pour les plus adeptes en revanche, la rencontre avec ce premier album devrait faire date.
A écouter : "44. Caliber Love Letter", "Counterparts And Number Them", "Adelleda", "Dagger Through The Heart Of St. Angeles", "Little Girls Pointing And Laughing", "Pulmonary Archery"