|
Biographie
Abigor est un groupe Autrichien officiant dès ses débuts dans le Black Metal. Formé en 1993 autour de Peter Kubik (P.K.) et Thomas Tannenberger (T.T.) à Vienne, le groupe connaît de fréquents changements de chanteurs (trois fois en l'espace de six ans), et voit notamment Silenius (Summoning) au micro de 1994 à 1999. Côté inspiration, le groupe puise comme tant d'autres formations dans l'univers de J.R.R. Tolkien, mais se tourne également vers des penchants satanistes retrouvés aussi bien dans les textes que dans les titres d'albums. En 1999, T.T. quitte le groupe pour diverses raisons. Parmi elles, le sentiment que le Black Metal s'éloigne peu à peu de son essence première au fil des années. Après deux albums en son absence, Abigor se sépare en 2003. Trois ans plus tard, T.T. et P.K. se remettent à travailler ensemble et la formation revoit le jour, pour sortir Fractal Possession en 2007, sorti chez End All Life Production. En 2014, le groupe est signé par Avantgarde Music et sort Leytmotif Luzyfer, son neuvième effort. Peu de répit pour notre duo qui sort trois titres sur Kingdom Of Darkness, puis collabore avec Thy Darkened Shade, Mortuus et Nightbringer sur un split. 2018 voit l'arrivée de Höllenzwang (Chronicles of Perdition), qui témoigne encore une fois d'une capacité du groupe à se renouveler.
Plus de vingt ans à Son service et une discographie toujours sans bavure, voilà de quoi redonner confiance à qui voudrait tenter un pacte avec le Diable. Avec sa cover cryptique que l’on pourrait croire sortie d’un film de Murnau, Abigor remet le couvert pour un tour de manège supplémentaire aux côtés du grand cornu.
Après un album pas bien loin de la perfection en 2014, Höllenzwang (Chronicles of Perdition) a une allure un peu plus foutraque que son prédécesseur, donnant parfois le sentiment de se perdre dans les morceaux, de ne plus bien savoir d’où l’on part ni où l’on va. Ce dernier né est à appréhender comme un album théâtral, où côté Jardin (des Délices) comme côté Cour (des Miracles), les répliques démoniaques fusent pour agrémenter un vaudeville crasseux et noir. Là où Leytmotif Luzifer semblait carré et millimétré, Höllenzwang s’adonne à plus de libertés de forme, à des titres aux multiples mouvements. Un Black Metal alambiqué que l’on ne se passera pas forcément tous les quatre matins, regorgeant cependant d’accès de bile fulgurants et diablement jouissifs. Cette fois moins porté sur les riffs, Abigor se fait toujours autant plaisir sur les voix, qui participent grandement à l’atmosphère lugubre et fantasque de l’album. All Hail Darkness And Evil ou The Cold Breath Of Satan nous laissent pleinement apprécier des vociférations incroyables de puissance et de passion, alors que l’ombre d’Attila Csihar plane sur les chants les plus graves et torturés. Samples, chœurs hantés, l’oeuvre semble parfois même prendre des airs de laboratoire des ombres, lorsque surgissent le bref penchant Electro-Indus de None Before Him ou l’intro incongrue de Ancient Fog Of Evil.
Une grosse mise sur l’ambiance donc, et parfois à l’excès. Car quelques moments de faiblesses, essentiellement sur Olden Days, ne montrent pas Höllenzwang sous son meilleur jour, donnant l’impression que nos Autrichiens bidouillent un peu au hasard sur leurs guitares pour un résultat qui fait presque penser à un coup de mou. Heureusement malgré ses élucubrations (majoritairement intéressantes, rappelons-le), Abigor parvient à accrocher sa proie grâce à un sens de la rythmique qui remet sacrément les choses à plat, sur None Before Him par exemple, où le besoin d’agiter la tignasse se fait assez pressant. Hymn To The Flaming Void s’illustre également dans ce registre grâce à une instrumentation dévastatrice (batterie en tête) qui pourra surprendre l’amateur de Black plus habitué à se faire posséder par une aura fantomatique qu’à ramasser une telle poutre en pleine tête. Quant à l’accroche All Hail Darkness And Evil, difficile de rêver mieux question invitation au blasphème car tout y est : mélodie envoûtante, break ravageur et inattendu, cris de déments, un blast-beat qui finit de rouler sur son auditeur... que demande le peuple ? Eh bien, un peu plus de groupes de cette trempe, à l'heure où pullulent les copycats et les chapelles parfois trop bien cloisonnées.
Mélangeant habilement exigence et efficacité, Abigor signe une nouvelle fois un disque Black Metal d’excellente facture, redéfinissant encore ses propres limites de composition. Rares sont les formations toujours capables de surprendre à la sortie de leur dixième album, et c’est peu de le dire que les Autrichiens relèvent le défi haut la main. Où vont-ils s’arrêter ?
A écouter : All Hail Darkness And Evil, None Before Him
Alors qu’au beau milieu des 90’s les géants norvégiens
sortaient les Transylvanian Hunger, Anthems To The Welkin At Dusk ou De Mysteriis Dom Sathanas que l’on connaît, une formation autrichienne émettait
ses premiers balbutiements de haine. Dans un style frontal et percutant, Abigor
enregistrait Verwüstung - Invoke The Dark Age ou Apokalypse, dans une veine Trve Black qui laissait déjà entrevoir
une certaine identité.
Les années et la maturité aidant, le groupe est aujourd’hui aux portes du
Pandemonium avec un Leytmotif Luzifer aux compositions complexes qui fait gage
d’un talent indéniable, et qui pousse désormais à ranger Abigor auprès des plus
grands du genre.
Intermédiaire entre les forces infernales et le commun des
mortels, le trio développe une ambiance « monumentale », à la
grandeur proche des efforts d’Emperor ou Septic Flesh, mais sans claviers ni
orchestrations dantesques. Les échos résonnent avant tout de ces guitares
folles, irrégulières, décrochant une large panoplie de riffs pour chaque
morceau ; embardées, arrêts brusques (« Akrasia »), accords
dissonants (« Indulgence ») ou soli mélodiques (« Excessus »),
la qualité de composition est impressionnante. Et rien ne semble dénoter :
le batteur se fait remarquer par ses patterns variés aux rythmes effrénés
tandis que des vocalises puissantes et
malsaines sonnent l’heure de la messe noire.
Thomas Tannenberger l’annonçait lui-même déjà en 2013, cet opus avait pour
vocation d’opérer un nouveau virage dans la carrière du groupe : réitérer
ce choc musical qu’avait créé le genre dans les années 90. Loin de se contenter d’un satanisme de
façade, les Autrichiens ont toujours développé une aura très occulte, présente dans les paroles, pochettes ou
interviews du groupe, cet effort en étant sans doute l’apogée. Articulé en
concept album, les sept pistes de Leytmotif Luzifer traitent des pulsions et
penchants autodestructeurs de l’Homme mais aussi de son ascension dans les
nébuleuses du Mal.
En résultent des morceaux où s’entrechoquent le chaos et la
technique, la beauté et la noirceur. Affranchi d’un Black conventionnel et usé,
Abigor va de l’avant et ouvre de nouvelles perspectives. Pas de redites ou de
compos trop peu inspirées, ici chaque pièce a sa place et s’inscrit dans un
ensemble cohérent, maintenant du début à
la fin cette atmosphère de grandeur menaçante. Contrairement au Post-Black, la
formation ne déconstruit pas mais enrichit le genre, le complexifie et y laisse
sa marque. Les mouvements s’enchaînent (« Compos Mentis »), les
mélopées typiques du Metal Noir se mêlent aux hurlements d’un chant clair
vindicatif ou à une voix de stentor, sans oublier chœurs et cuivres sur le
magistral final qu’est « Excessus ». On ne compte plus les
tourbillons sonores de ces guitares qui nous happent, cassés par de discrètes
cordes dissonantes qui glacent le sang. Le rythme est instable, incertain, on
nous malmène habilement et avec une aisance qui révèle un travail acharné
durant les quatre ans écoulés depuis la dernière offrande.
Plus technique, plus inventif, et bénéficiant d’un son
travaillé, rares sont les reproches que l’on puisse faire à l’égard de cet opus
varié qui ne trahit pas pour autant ses géniteurs. De la musique au concept,
Abigor a grandi d’un bond, et pèsera sans doute très lourd dans la balance des
fans du genre à l’heure des bilans annuels. Les Autrichiens ne signent pas un
simple album, ils posent ici le premier jalon d’une nouvelle renaissance.
L'album est à écouter en intégralité sur bandcamp.
A écouter : absolument
|
|