"Maintenant, écoute ce que je vais te dire. Un Dieu lui-même fera que tu t'en souviennes. Tu rencontreras d'abord les Sirènes qui charment tous les hommes qui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure, et ne se réjouiront. Les Sirènes le charment par leur chant harmonieux, assises dans une prairie, autour d'un grand amas d'ossements d'hommes et de peaux en putréfaction. Navigue rapidement au delà , et bouche les oreilles de tes compagnons avec de la cire molle, de peur qu'aucun d'eux entende. Pour toi, écoute-les, si tu veux ; mais que tes compagnons te lient." (L'Odyssée, Chant 12)
Véritable lien entre l’Hadès et l’Olympe, objet de grâce dans un écrin de feu, 1905 possède la silhouette des anges déchus et la voix meurtrie des exilés. Chimère musicale, magicien de l’émotion, 1905 enlace l’auditeur par des découpes de guitare fulgurantes, le roue de coup sous des coulées de batterie et le change en fontaine l’instant d’après. A sa merci.
Adepte de la métamorphose, la formation américaine parvient à faire de son Voice un véritable voyage initiatique où le réel et l’irréel se côtoient dans une valse des genres stupéfiantes. Capable d’offrir la quiétude aux proscrits via les caresses d’une guitare aux allures de harpe dans "Quote", 1905 sonne dans la foulée le réveil (social) sous une décharge haineuse de paroles qui sentent la barricade et la poudre ("Can’t Change Everything"). Adieu les repères, adieu l'ancien régime.
Attaquant de toutes parts, sans jamais baisser le front, Voice change ses baisers en mitraille, et s’affiche punk quand la cause l’exige ("Side by Side", "Go"). Sous les assauts d’une batterie en transe et de lignes de basse hypnotisantes mettant à bas toutes les lignes… adverses, les natifs de Washington font preuve d’une création surnaturelle sans la moindre réédite, crachant un screamo à double voix masculine/féminine bouillonnant - pouvant évoquer les coups de génie de Circle Takes The Square - au milieu de titres évolutifs, unifiant lyrisme indie, colère hardcore et saillie rock’in-tégriste ("Fall"). Tantôt muse échappée du Mont Parnasse, tantôt Erynnie assassine, Jess porte haut le flambeau calciné des révolutions perdues, mêlant le parfum de l’amour et de la mort dans des morceaux qui semblent tenir du miracle ("Control", "Voice"), bousculant les fantômes entre "ahaaa haa haa" divins et coups de sang à la Anomie.
Engagés, DIY, activistes, 1905 a marqué humainement la scène de Washington DC à la charnière des deux siècles. Ils laissent, en partant, un large trou béant dans le milieu alternatif. On se consolera en se disant que pour tous les combats où ils furent vaincus par le cynisme politique, ils se vengèrent musicalement, abolissant les frontières des genres (à défaut des frontières des nations) et mariant dans une seule et même "Voice" la fureur et la poésie, la folie et le sublime, le ciel et l’enfer.
A écouter : pour faire perdurer l'héritage révolutionnaire