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Le bruit des bottes : quand l’extrême-droite s’attaque aux concerts.
La cancel culture, tant brandie contre les personnes soucieuses de lutter contre les discriminations, semble pourtant bien convenir aux réactionnaires de tout poil.
Le 5 avril dernier, le chanteur Bilal Hassani s’est vu contraint d’annuler un concert à Metz. En cause, des protestations et menaces de violences envers l’artiste, programmé dans la basilique de Saint-Pierre-Aux-Nonnains. Le jugeant indigne de jouer dans cet ancien lieu saint (pourtant désacralisé depuis pas moins de 500 ans), ses détracteurs lui réservaient un sort pas des plus catholiques, allant de la prière de protestation jusqu’aux « attaques de PD à l’acide ». Au chevet de l’ancienne église menacée d’être pervertie par une prestation « pornographique », on retrouvait l’association Aurora (engagée dans un « combat civilisationnel, culturel et social »), des élus Rassemblement National, et des militants d’extrême-droite rivalisant d’idées pour planifier une agression homophobe contre Hassani.
Bien que la musique de l’ex-candidat à l’Eurovision soit éloignée des genres dont nous traitons sur Metalorgie, cet incident ne doit pour autant pas laisser insensibles. D’abord pour la gravité des menaces proférées, et puis parce que cet événement n’est pas isolé. Le 13 avril, un autre concert donné en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul de Lille et accueillant des musiciens turcs était également la cible de l’extrême-droite. Réunis sur une boucle Telegram (FR Deter, récemment dévoilée au grand jour), les militants projetaient « d’exploser la gueule » de « bougnoul(e) et bamboula », et de débarquer en nombre. Les pouvoirs publics ont heureusement été alertés à temps par une personne infiltrée sur le fil de discussion.
Il y a deux ans, c’était Anna Von Hausswolff (dont nous avons vanté les mérites plusieurs fois ici) qui avait dû renoncer à deux dates en France suite à des pressions. L’organiste suédoise devait jouer dans des églises (à Nantes et Paris), mais des organisations radicales comme Riposte Catholique (relai de complots racistes comme la théorie du grand remplacement) en avaient décidé autrement. Enfin, le site du Hellfest avait été vandalisé en mai 2015, après avoir été dans le viseur de personnalités politiques fleurant bon l’extrême-droite (élus FN, Christine Boutin, Philippe De Villiers). Le festival n’a pourtant jamais eu à déplorer la moindre violence contre des croyants.
Hors de nos frontières, des artistes de la sphère Metal ont eux aussi subi les foudres de différents groupuscules. Des pressions d'orthodoxes radicaux ont eu raison de Cannibal Corpse en 2014, empêché de jouer à plusieurs reprises lors de leur tournée sur le sol russe. Traîné devant les tribunaux pour blasphème (puis innocenté par la suite), Nergal et son groupe Behemoth a été interdit de concert à l'université de Poznań, en 2014 également. Le gouvernement évoquait alors des risques en matière de sécurité, décision que le musicien polonais interprète comme un prétexte pour censurer son groupe.
Dégradations sur le site du Hellfest, mai 2015. On y distingue le Sacré-Coeur vendéen, signe de fidélité au Roi et à l'Eglise.
L’extrême-droite en embuscade
Pour revenir aux récents faits dans l’hexagone, faut-il y voir une hostilité des catholiques envers la musique profane dans leurs lieux de culte ? Non, des événements du genre sont monnaie courante, et ne font pas parler d’eux dans l’immense majorité des cas. Ces derniers temps, Natasha St-Pier, Laurent Voulzy ou Hugues Aufray par exemple, ont pu jouer dans diverses paroisses sans que quiconque ne s’en émeuve. Certains lieux de cultes ouvrent même leurs portes à des musiques plus sombres : Stephen O'Malley (Sunn O)))) et Kali Malone donnaient un concert d'orgue il y a deux ans à l'église Saint-Martin (Rennes). A Paris en 2016, Aluk Todolo posait ses amplis en l'église de Saint-Merry avec l'accord de la paroisse, mais au grand désarroi de Riposte Catholique. Malgré l'autorisation des instances religieuses, les prestations de certains artistes sont l'occasion de libérer les idéologies fascisantes d'une minorité, qu’il s’agisse d’homophobie, de racisme, ou bien d’incrimination en satanisme pour ce qui est d’Anna Von Hausswolff (une phrase de son titre Pills : « I made love with the devil », offrande plutôt maigre de la part d’une dangereuse sataniste).
Comme on peut s’y attendre, certains auront tôt fait en lisant ces lignes de renvoyer dos à dos les tentatives d'interdiction, qu'elles viennent de droite ou de gauche.
Malgré l'absurdité de la comparaison, rappelons que les fins et les moyens sont diamétralement opposés. Là où des organisations antifascistes ont pu militer contre des artistes propageant une parole ou des symboles racistes (sanctionnés par la loi, sans même parler de valeurs morales), le camp réactionnaire donne dans la discrimination et ne s'en cache pas. Les voilà qui brandissent la « propagande LGBT » (les gays, lesbiennes, trans,...n'ont ils pas simplement le droit d'exister et de monter sur scène ?) pour justifier leurs actes. Parfois c’est « l’idéologie woke » (ou plus simplement la prise de conscience d’inégalités, sciences sociales à l’appui) qu’il faut combattre en prenant les armes.
Et puis, c'est via des alertes auprès des représentants de l'état et des pétitions (recours parfaitement légaux) que les opposants aux concerts NSBM se manifestent. Le Collectif Anti NSBM Paris avait par exemple listé et médiatisé les dérives du chanteur de Taake, quelques temps avant une date au Backstage By The Mill en 2022. Aucune menace de ratonnade ou d’attentat n’a été nécessaire pour que le groupe norvégien soit exclu de l’affiche. De même, pour éviter la tenue du Winter Rising Fest 2022, la sollicitation du maire de la ville avait été suffisante. Le festival avait programmé Forgotten Tomb, jugé problématique à plusieurs égards par les personnes ayant alerté l'édile.
Appel à la vigilance
Il n’est pas question ici de crier au loup pour rien. Les projets funestes et criminels à l’encontre de Bilal Hassani ou des musiciens turcs résultent d’une montée en puissance fasciste. Début 2023, le directeur général de la Sécurité Intérieure, Nicolas Lerner, révélait que les services de la DGSI avaient déjoué « neuf projets d’action terroriste motivés par un extrémisme idéologique, essentiellement d’ultra-droite » depuis 2018. Il ajoute dans ce même entretien : « Nombre de démocraties occidentales considèrent que la menace d’ultra-droite, suprémaciste, accélérationniste, est aujourd’hui la principale menace à laquelle elles sont confrontées ». La question de la lutte contre le terrorisme d’extrême-droite a également également été débattue à l’Assemblée Nationale début avril.
En bref, ces attaques récentes envers la culture doivent nous alerter, que l’on parle d’artistes dont on apprécie la musique, ou non. Il importe de rester vigilants, alertes sur ces sujets et surtout de ne pas s’habituer à ces actes ; pris individuellement, ceux-ci peuvent avoir l’air de faits divers, mais ils témoignent d’une tendance globale fort inquiétante.
Edit du 14/05/2023 : un nouveau concert prévu dans une église a été annulé. Autorisée au préalable par le curé de Carnac, la prestation de l'organiste Kali Malone a été empêchée par des catholiques radicaux épaulés par Civitas. L'organisation (anti mariage pour tous, "tolérante enver le nazisme") a prêté main forte à un groupe de fidèles prêts à recourir à la violence si nécessaire. Le maire Olivier Lepick, qui regrette cet état de faits et promet des poursuites judiciaires, a préféré annuler le concert. Rappelons qu'il y a quelques jours seulement, l'édile de Saint-Brévins-Les-Pins démissionnait suite à l'incendie de sa maison par des militants d'extrême-droite.
Le communiqué de l'organisation est à lire ici.
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