Cinq pochettes Metal minimalistes

Des bacs du disquaire aux plateformes de streaming, les pochettes d'albums constituent généralement le premier contact avec la musique de nos artistes favoris. Jusqu’au-boutiste, les groupes de Metal ont mis un point d’honneur au fil des décennies à développer une imagerie riche et haute en couleurs. Avec le temps, des codes visuels se sont installés, jusqu'à devenir des poncifs qui n'émeuvent plus beaucoup après des éons de musique du diable dans les pattes. Le visuel accompagnant le dernier Cannibal Corpse dégouline d'hémoglobine ? Mgla nous a refait le coup du noir et blanc ? Quoi de plus normal ? Même dénicher un artiste talentueux ne suffit plus : on ne compte plus les œuvres d'Adam Burke ou Mariusz Lewandoski associées au Metal. A tel point que leurs tableaux perdent de leur superbe à mesure qu’ils se démocratisent. Alors que faire ? Certains groupes sont sortis des attendus, ont cassé les codes, tant et si bien qu’ils ont réussi à se démarquer ces derniers temps, malgré les 50 longues années d’esthétique Metal derrière eux.


Deafheaven - Sunbather

Avec Sunbather, Deafheaven a sorti l’une des illustrations Metal les plus virales des années 2010. Son rose parfaitement assumé, accolé à une musique très fortement inspirée Black Metal, a fait grincer quelques dents. Mais au-delà de l’effet provocateur, cette couleur colle parfaitement à l’intention du disque et son titre. Un jour où il se rendait à l’école, le jeune George Clarke (chant) vit une jeune fille allongée sur la plage, captant de tout son long et dans une totale sérénité les rayons ardents de la Californie. Ce tableau, décrit par le musicien au micro de Noisey en 2014, explique l’importance accordée à la lumière dans Sunbather, tant musicalement que visuellement. L’intérieur du digipak est habillé d’un jaune vif uni, le livret quant à lui donne à voir dans des tons rosés une silhouette anonyme (peut-être la jeune fille de la plage ?).

Ces illustrations singulières sont signées Nick Steinhardt, musicien au sein de Touché Amoré, groupe lorgnant d'avantage vers le Post-Hardcore et le Screamo que le Metal. Et bien que des ponts existent, ces deux cultures n’ont pas franchement les mêmes automatismes visuels. Sans compter que Deafheaven est également dans une démarche de rupture, citant parmi ses influences Emperor à côté de My Bloody Valentine, ainsi que Mono, Prurient ou Slowdive. Quoi de mieux alors, pour signer l’abâtardissement du Black Metal qu’une cover saveur barbe à papa, dans les mêmes tons qu'un certain Loveless ?


Sacred Son - Sacred Son

Sur un ton plus "trollesque", en voilà un autre qui s’est amusé à détourner l’esthétique Black Metal. Un simple selfie pris en vacances, rien de plus simple pour s’attirer les foudres des trues les plus bornés (c’est dire si les blackeux tiennent au sacré). Le tableau typique du genre (corpse-paint, cheveux longs, hiver, noir et blanc, forêt) est ainsi pris intégralement à rebours. Et preuve que ce petit pied de nez esthétique a fonctionné, Sacred Son a longtemps traîné son sourire estival dans les meilleures ventes Metal de Bandcamp, en dépit d’une musique pas franchement convaincante.

Le disque a tout de même été édité à au moins 500 copies selon Discogs, tous supports confondus. Un beau départ, qui a motivé notre britannique photogénique à poursuivre dans la musique, avec la parution de Arthurian Catacombs en 2019 puis de Levania en 2020. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, Dane Cross a tenu à poser de nouveau. Face à un monument médiéval pour l’un (vraisemblablement rajouté sur Photoshop, ou Paint vue la qualité du montage…), en pleine soirée poker pour l’autre. Notons quand même que ces deux dernières sorties ont été nettement moins visibles, l’effet de surprise s’étant probablement essoufflé pour se transformer en blague lourde et un peu nulle.


Violet Cold - Empire Of Love

Tout droit venu d’Azerbaïdjan, Violet Cold est un projet solo de Blackgaze lancé en 2013. D’abord plutôt orienté Ambient et Post-Rock (sur son premier album Lilu), le musicien Emin Guliyev bifurque ensuite vers des terres plus métalliques. Les productions précédant Empire Of Love affichaient alors une esthétique assez conventionnelle pour le genre (des visuels épurés, noir et blanc, sous forme de photomontages). Mais avec l’album de 2021, voilà que jaillissent des couleurs et des tags bandcamp qui ne plairaient pas à tout le monde : "antifascist", "lgbtqia", "anarchist", "feminist". D’une certaine manière, Violet Cold s’inscrit dans la tradition subversive du Black Metal, en réunissant trois symboles a priori antinomiques : le croissant de l’Islam, le drapeau LGBTQ+, et une interprétation très actuelle du Black Metal. 

Bien qu’officiellement dépénalisée depuis l’an 2000, l’homosexualité est violemment réprimée en Azerbaïdjan. Si le pays fait figure d’exemple de tolérance religieuse (chiites et sunnites cohabitent sans heurts), l’omniprésence de la religion (96,9 % de la population est musulmane) et le harcèlement policier sont de réelles menaces pour qui n’y est pas hétérosexuel. Le Guardian rapportait par exemple une soixantaine d’arrestations arbitraires en 2017, ainsi que le suicide d’un militant LGBTQ+ en 2014. 
Le choix d’une telle pochette surprend, forcément, jusqu’aux occidentaux que nous sommes. On peut y voir de la part de Emin Guliyev une volonté de s’affirmer (au sein de son pays, au sein d’une scène), démarche tout à fait louable mais qui n’est donc pas sans risque, bien au contraire.


Carcass - Torn Arteries

Carcass, qui s’était ingénié à orner ses premières pochettes de boyaux tous plus dégueulasses les uns que les autres, a choisi l’extrême inverse avec son Torn Arteries. Fond immaculé et clinique, assortiment appétissant garanti sans mauvais cholestérol, la composition est extrêmement "sage" mais fichtrement bien trouvée. Le titre, qui date pourtant de la genèse de Carcass, fonctionne particulièrement bien lorsque l’on sait que les deux membres historiques (Bill Steer et Jeff Walker) sont végétariens. Refusant de se la jouer trop moralisateur, les artistes posent néanmoins un regard critique sur la consommation de viande dans le clip de Kelly’s Meat Emporium ("le grand magasin de viande de Kelly"). Sans aller jusqu’au concept album, l’œuvre visuelle unifie tout cela, à l’instar de l’excellent Apex Predator-Easy Meat de Napalm Death, d’apparence très sobre, efficace et également disponible au rayon alimentaire.

L’histoire se poursuit en inspectant l’intérieur du disque, toujours habillé du même cœur de légumes et des différentes étapes de sa putréfaction (Obituary l’a dit : slowly we rot). Cette évolution est inspirée du Kusôzu, une forme d’art japonais qui représente les états de décomposition d’un cadavre féminin. Visiblement sous le charme, Jeff Walker (basse / chant) a passé commande auprès de Zbigniew Bielak, forcé de sortir lui aussi de sa zone de confort (des dessins très géométriques en noir et blanc). On pourra également penser à Giuseppe Arcimboldo, célèbre pour ses portraits réalisés à partir de fruits et légumes, les entrailles en moins.
 

Zeal And Ardor - Wake Of A Nation

Aujourd’hui établi dans le paysage, Zeal And Ardor avait déjà créé un petit phénomène dès son premier méfait, Devil Is Fine. Le disque accolait Black Metal et Negro Spirituals, imaginant ainsi une réalité parallèle où les noirs américains s’en seraient remis au Diable plutôt qu’à Dieu pour leur venir en aide pendant la période ségrégationniste américaine. Plus récemment, le Suisse a su marquer à nouveau les esprits dans un contexte tristement funeste, et ce grâce à une illustration éloquente. Avec cette image très simple, Manuel Gagneux mobilise plusieurs niveaux de lecture, plusieurs thèmes forts qui traversent son projet musical : la croix inversée chère au Black Metal, la dénonciation des violences policières. Dans les deux cas, il s’agit d’une subversion de l’ordre établi, d’une rébellion contre un oppresseur (Dieu, le catholicisme, un état policier,…).

Et puis, fait rare pour un groupe affilié Black Metal, Zeal And Ardor s’ancre avec ces deux matraques blanches dans une réalité politique et sociale identifiable : la mort de George Floyd et les émeutes qui s’en suivent, le trumpisme, les élections américaines (l’ep paraît une poignée de jours avant les votes des citoyens). Alors que le genre cherche généralement à s’extraire du réel au profit d’anciens temps fantasmés ou fantastiques, le Suisse signe un morceau nommé I Can’t Breathe dans lequel figurent des slogans scandés en 2020 lors des manifestations Black Lives Matter.


Less is more

D’autres avant eux avaient tenté l’expérience avec succès : le quatrième album de Led Zeppelin, nommé IV par convention malgré son absence de titre, et ce dans une ère pré-internet. Citons aussi Joy Division et son Unknown Pleasures presque tout noir, ou l’incontournable Dark Side Of The Moon de vous-savez-qui. Mais dans un style aussi maximaliste que le Metal, les illustrations ci-dessus interpellent, notamment pour leur absence de repères (pour qui ne connaît pas Violet Cold ou Deafheaven, difficile d’en deviner le style). 

Elles renferment également une profondeur plus grande : là où un paysage complexe et détaillé n’offrira souvent qu’une lecture littérale, très premier degré, la retenue permet au contraire d’investir le domaine du symbole et de l’interprétation. Décider d’une pochette simple amène souvent au contre-pied, au pas de côté qui poussera peut-être plus volontiers à l’écoute, histoire d’alterner avec les hordes de zombies affamés et autres guerriers victorieux.

Skaldmax (Janvier 2022)

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