La grande famille du Metal

Le Metal est une famille ! C’est une expression qui revient régulièrement et il semble difficile de le nier. Une très grande famille même. On y trouve des membres que l’on n’a pas choisis, des gens en opposition totale, des sujets à ne pas aborder, des histoires dont on est pas très fiers et que l’on préfère mettre sous le tapis, des gens qu’on aime par dessous tout, des moments magiques passés ensemble… Si par le terme "famille" vous incluez tout ça, alors oui, on peut bel et bien dire qu’on est une famille. Dernièrement, un journal a osé écrire un article sur notre famille, et nos proches cousins Punk. Notre image de membres soudés, bienveillants, accueillants a pris un coup dans l’aile. Certains aimeraient qu’on passe ça sous silence, car "y’a pas mort d’homme", "ça va ils ont compris", "on va passer à autre chose quand même !" mais désolé, il semblerait que pour les prochains repas ça plombe l’ambiance et que certain.e.s ne veuillent plus venir.



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Contexte

Arrêtons la métaphore filée ici car on parle évidemment de l’article de Mediapart (lien de l’article) et de ses répercussions sur notre scène, très vives ces derniers jours. Mediapart publie il y a quelques semaines un article visant plusieurs personnes, accusées d’agressions sexuelles dans le milieu des musiques extrêmes. Ici on parle d’agressions de membres de groupes, du staff, qui ont le plus souvent lieu en dehors des salles de concert lors de fêtes notamment. Des témoignages évoquent Alexis, un salarié de Rage Tour. Sont également visés Till de Guerilla Poubelle et de Guerilla Asso. Le fait que l’article soit issu d'un média payant le rend évidemment moins accessible pour beaucoup (même s'il a été très largement screené et partagé), mais c’est aussi le prix pour bénéficier d’une presse libre et sans pression d’annonceur. Nous vous en résumons donc ici son contenu :

La partie Rage Tour :

En novembre 2020 un témoignage public accuse un employé de Rage Tour, Alexis, d’agressions sexuelles. Nous l'avions évoqué en novembre dernier. Rage Tour est un tourneur (il gère la partie "concert" de différents groupes, nerf de la guerre dans ce milieu où tourner est bien souvent la seule façon de gagner de l’argent). On retrouve à la direction Niko aussi chanteur dans Tagada Jones. Rage Tour réagit en déclarant se séparer du tourneur incriminé et indique vouloir porter plainte contre la victime pour protéger l’image de l’entreprise.
Face à la bronca, Rage Tour fait marche arrière et retire sa plainte. Dans l’article on apprend qu’à ce moment dans une discussion WhatsApp du groupe Le Bal Des Enragés (un "supergroupe" dans lequel on retrouve des membres de Tagada Jones, Lofofora, No One Is Innocent, Loudblast, Black Bomb A, Aqme, Punish Yourself et Parabellum) on peut y lire qu’il faut "violer 2 ou 3" (féministes) ou "lui trouver un surnom qui lui [aille] bien, genre "la pouffe du net", et faire comme elle, inonder la toile avec ça". Niko déclare ne pas cautionner ces propos, mais que c’est un groupe privé où il y a de l’humour noir (on vous invite à lire l’article pour avoir l’ensemble des propos / détails).
Suite au témoignage de 2020, plusieurs femmes racontent dans l’article des cas d'agressions sexuelles de la part d’Alexis, employé de Rage Tour, et même un des membres de No One Is Innocent indique avoir voulu s'écarter de cette personne.

La partie Guerilla Poubelle / Guerilla Asso :

Trois des ex-compagnes de Till, chanteur et guitariste de Guerilla Poubelle et fondateur du label Guerilla Asso qui a sorti plus d’une cinquantaine de disques de groupes Punk, l’accusent d'agressions, d’humiliations et de comportements de domination envers elles. Le musicien nie la plupart de ses propos ou de ses actes. Son comportement et sa posture sont en total contradiction avec les messages féministes véhiculés dans les morceaux de Guerilla Poubelle.

La suite de l’article évoque des viols / agressions et comportements sexistes au sein de "notre grande famille" (sans nommer les groupes). Ce genre de problème reste encore très tabou et les femmes qui osent en parler se font bannir du milieu. Outre les remarques sexistes, certains comportements sont ceux de prédateurs et d’agresseurs et tout cela semble légitime et normal pour beaucoup d'hommes. Le podcast Heavystériques en parle également dans ses émissions à travers plusieurs actrices de la scène. "Ce qu’on cherche à faire comprendre est qu’il y a une violence qu’on choisit, en tant qu’amatrices de cet univers musical et de son esthétique, et une violence qu’on subit, à travers les agressions et le sexisme dont on peut être victimes."

Les réactions à l’article de Mediapart

Les réactions suite à l’article de Mediapart ont finalement été assez peu nombreuses. Aucune réaction n’a été fournie de la part de Rage Tour ou de Guerilla Poubelle / Guerilla Asso où deux personnes sont incriminées à travers cet article, ce qui reste fortement problématique. Peu de médium généralistes relaient l’information, comme d’habitude, mais peu de medium ou groupes Metal / Punk relaient l’article également. Peut être par méconnaissance du sujet (c’est fort probable), pour faire l'autruche et faire comme si ce genre problème n'existait pas (c’est également largement possible) ou par conflit d'intérêt ? Toujours est-il qu’on est face à un problème qu’on essaye de ne pas voir. Les groupes / orgas font comme si de rien n’était et on laisse passer la vague en espérant qu’elle se calme. Ce type de comportement pointe du doigt deux problèmes : le fait que certains groupes / orgas / tourneurs passent sous silence le truc de manière volontaire pour protéger des amis, des potes, des connaissances, des relations de travail. Mais il pointe également un souci, non exprimé, que beaucoup de personnes font comme si tout allait bien à travers cette scène car aucun message de Rage Tour ou Guerilla Asso n’a été publié. En outre, aucun message de la part des groupes faisant partie de Rage Tour, idem pour les nombreux groupes faisant partie de Guerilla Asso. On fait comme s’il n’y avait aucun problème, on regarde ailleurs en espérant que les affaires se tassent.

Il y a toutefois eu plusieurs prises de positions. Les Toulousains de Nightwatchers ont partagé l’article de Mediapart et ont décidé de ne plus jouer dans des événements associés de près ou de loin à Rage Tour / Guerilla Asso (voir le message du groupe), de même les Nantais de Heavy Heart ont pris la décision de ne pas sortir leur prochain album chez Guerilla Asso. Le groupe Intenable a réagit rapidement après la parution de l'article de Mediapart en soutenant les personnes violées et agressées sexuellement, en mettant en lumière les problèmes liés à la scène, mais également en essayant de de trouver des solutions pour rendre cette scène plus sûre. Ils disent aussi prendre leur distance avec Guerilla Asso avec qui ils collaborent depuis le début. Leur message est à lire par ici.

Plusieurs personnes ont relayé l’article sur les réseaux sociaux, mais aussi des personnes actives au sein de la scène tels que le podcast féministe Heavystérique, #Musictoo, la version #metoo dans la musique ou bien le Petit Metalleux Illustré. D’autres médium Metal et Punk l’ont également partagé, mais on est loin d'une écrasante majorité et l’on notera également que l’article n’a eu aucun écho dans des presses et médium plus généralistes et mainstream. On parle ici de choses graves et importantes qui méritent d’être mieux mises en lumière dans la scène Punk / Rock / Metal (et partout ailleurs, bien sûr). Mais en l’occurrence, l’article n’aura pas eu l’effet lame de fond, comme on aurait pu escompter, afin au moins d’entamer un début de réflexion sur le milieu et des comportements problématiques. Au final, on a un peu l’impression que ce sont surtout les personnes concernées qui ont eu vent de ces révélations, car encore une fois l'entre soi masculin est tenace et il ne faudrait surtout pas que ça dérange notre belle et grande famille. On notera également que la présence d'Ultra Vomit à l’Elysée (dans la vidéo de McFly&Carlito) quelques jours plus tard aura été un bon moyen de détourner l’attention du sujet ô bien plus important.

Le feu aux poudres

Sauf que ces derniers jours n’ont pas été de tout repos et visiblement, une étincelle s’est allumée. C’est toujours comme ça, on essaye de faire profil bas, et ça te revient dans la gueule puissance dix. L'élément qui va déclencher une première salve de prises de position c’est l’affiche de l’Xtreme Fest 2021. Quelques jours après la parution de l’article chez Mediapart, le festival annonce prendre les questions d’agressions sexuelles et les victimes au sérieux au sein de la scène et de vouloir continuer de prôner une attitude respectueuse et bienveillante (le message est à lire par ici). C’est un des rares organisateurs de concerts (peut-être le seul en France) à l'avoir fait, ce qui est une bonne chose. Malheureusement, il y a une semaine, l’Xtreme Fest dévoile une affiche 100% française (à cause du covid) mais surtout qui aligne les groupes signés chez Rage Tour. On notera Ultra Vomit, Tagada Jones, No One Is Innocent et Son’s Of O'Flaherty. Sur 21 groupes, quatre font partie du roster et ne se sont pas exprimés sur ces affaires d’agressions et sur le cas Rage Tour. Forcément, ça fait grincer les dents (pour être gentil) de pas mal de personnes autant que cela génère une incompréhension après le message engagé de l’Xtreme Fest quelques semaines plus tôt. Depuis, et après ce genre de retour qui semble bien loin des engagements que le festival affichait quelques semaines précédemment, aucun communiqué n’a été fourni de la part des intéressés. Deux groupes se sont désolidarisés de l’affiche, à savoir Krav Boca qui évoque également dans son message les faits relatés dans l’article de Mediapart (voir le message) mais aussi Stinky (voir leur communiqué). Le groupe Stinky s'y montre partagé : défendre un message sur scène en faveur des minorités devant un public pas forcément acquis à sa cause ou annuler leur venue pour ne pas cautionner la situation ? Les nantais penchent finalement pour la seconde option. 

Dans la foulée le Hellfest annonce sa programmation sur une double édition 2022 avec pas moins de 350 groupes répartis sur sept jours. Dans cette programmation on retrouve encore une fois Tagada Jones et aussi Guerilla Poubelle dont Till, le guitariste / chanteur, accusé d'agressions sexuelles, est toujours dans le groupe. Rappellons que ni la formation, ni le label Guerilla Asso dont il est le fondateur et gérant ne se sont exprimés à propos de l’article Mediapart. A travers bon nombre de réactions enthousiastes liées à cette annonce jamais vue dans un festival Metal de cette ampleur, d’autres ont tout de même relevé un problème sur la programmation des deux groupes sus-cités, plutôt noyés parmi bon nombres de messages positifs et d’encouragements, ce que l'on imagine bien au vu la force de frappe et la portée qu’à le Hellfest dans la scène Metal / Punk française. Le podcast Heavystériques a envoyé un message à l’attention des organisateurs concernant le fait de programmer des artistes accusés d’agressions sexuelles (à retrouver par ici) tout comme le site Granny Smith dont voici la lettre ouverte au festival. En outre, le Hellfest a participé à l’enquête réalisée par Mediapart. On se rappellera également la communication désastreuse en 2019 suite à une plainte pour viol d’une festivalière et pour qui l'organisation avait "déployé tous les moyens afin d’éclaircir ce triste récit, qui nous a également bouleversé". Ils précisaient avoir enquêté de leur côté en visionnant des enregistrements de caméra de surveillance, avoir tenté d’entrer en contact avec la victime, mais sans succès et qu’ils n’avaient "pas trouvé d'image susceptible de pouvoir correspondre à la description des faits." Ils ajoutaient que  "de véritables professionnels du journalisme se doivent d’attendre que des faits tangibles soient réellement constatés [...], avant de titrer sur des faits aussi graves et préjudiciables pour l’image d’un événement. Plus largement, pour l’image de toute une communauté reconnue pour son attitude exemplaire et respectueuse." Dans l’article de Mediapart, Eric Perrin (en charge de la communication du festival) reconnaît que désormais ce communiqué serait différent.

Enfin une réaction du côté de Tagada Jones

Suite aux retours sur l’affiche de l’Xtreme Fest, Tagada Jones a publié une réponse pour dire qu’ils ne sont pas des agresseurs (rien dans cet article ne les vise en tant que tel), mais manquent pour le coup les principaux reproches fait à Rage Tour et par extension Tagada Jones : leur silence depuis l’article de Mediapart et le fait d’avoir potentiellement couvert un agresseur pendant de longues années. Dans ce message virulent et surtout dans les réponses apportées aux commentaires, on sent de la colère d’être vus comme des agresseurs (normal) mais sur des points précis (notamment la discussion WhatsApp, la pression sur des fournisseurs de merch, et même de manière générale sur ce que raconte l’article) la personne derrière le compte critique le travail de Mediapart, trouve que les féministes se trompent de cible et décrédibilisent "la cause", que des groupes les critiquent pour gagner en notoriété… Tout cela est mélangé avec des messages de soutien de nombreux fans qui n’avaient, semble-t-il, pas eu vent de l’affaire, d’où l’importance d’en parler. Depuis, le guitariste / chanteur Niko a aussi publié un message vidéo plus apaisé sur Instagram, mais cela semble un peu tard et il n’est toujours pas fait mention de ce qui peut être reproché au groupe et au roster de Rage Tour qui ne s’est nullement  exprimé sur la question et la communication exécrable dont fait preuve Tagada Jones. Niko indique ne pas avoir vu le message WhatsApp et le condamne. Kali, une des victimes de l'article de Mediapart publie d'ailleurs son témoignage (à lire ici), en apportant son soutien à Tagada Jones, tout en soulignant un choc des générations entre les membres du groupe et sa communication et une partie de son public.

En dehors des affaires liées à Rage Tour / Guerilla Poubelle, d’autres musicien.ne.s ou organismes se sont exprimés ces derniers temps. Deux articles du site Mediacités mettent en cause deux personnes qui ont travaillé chez l’agence de booking de Toulouse, Jerkov Musiques dans laquelle on peut retrouver des groupes comme It It Anita, Slift ou encore La Jungle.  Il s'agit de Michael G. qui travaillait il y a quelques temps encore comme agent d'artistes. Il est accusé d'avoir usé de son ascendant sur plusieurs femmes afin d'obtenir des faveurs sexuelles et, à la suite de leur refus, essayé de nuire à leurs carrières respectives. Les alertes au sein de la direction sont restées sans retour et le président, Antonio Uras, ne s'est jamais positionné. L'actuel coordinateur, Charles Féraud, a dit à l'une des femmes de laisser couler. Seul Christophe Rymland a organisé des plannings pour que les deux personnes ne se croisent plus dans les bureaux, mais cela semble assez maigre comme solution. Dans le cas de l'enquête de Mediacité, Michaël G. nie toujours les conséquences néfastes de son comportement, plusieurs mois après les faits. Plusieurs groupes comme I Me Mine, Lysistrata et Bandit Bandit ont également mis fin aux collaborations avec Michaël G. Les différents témoignages sont à lire par ici.

Dans un second article de Mediacités, l’article évoque plusieurs témoignages contre cette fois Mathieu Miegeville, chanteur chez Psykup et My Own Private Alaska mais aussi cofondateur de Jerkov Musiques. Il est accusé de harcèlement, sexting non consenti, misogynie qui se traduit, entre autres, par des menaces et déstabilisations envers ses collègues femmes. Une des plaignantes fait remonter les messages déplacés de Mathieu et ses débordements, mais ils ne seront pas entendus. Pour Anne-Lise Vinciguerra qui travaille chez La Petite, une association féministe de Toulouse qui agit notamment en faveur de l'égalité des genres dans les arts et de culture, les dirigeants de Jerkov Musiques ont "failli à leur responsabilité d'employeurs de protéger les victimes [...], de prévenir, mettre un terme et sanctionner le harcèlement." comme le préconise le code du travail. Une autre femme déclare que le président Antonio Uras et Laurence Sender (l'administratrice de l'époque qui est restée à peine un an) lui ont demandé de "mettre un couvercle sur ce qui s'était passé". Dans le secteur culturel, les stagiaires dépendent souvent de personnes qui ont beaucoup d'influence et d'emprise et beaucoup de postes de pouvoir et de responsabilités sont tenus par des hommes, comme c'est le cas chez Jerkov Musique. La suite des témoignages à l’encontre de Mathieu Miegeville se lisent aussi par ici. L'agence de booking a réagi il y a quelques jours à la suite de la parution des deux articles. Le président reconnaît une partie des torts "des défaillances n’ont pas permis de prendre la mesure des situations, ni de les traiter suffisamment efficacement et rapidement." Il ajoute "en tirer les leçons, pour refondre en profondeur le fonctionnement et la gouvernance de Jerkov Musiques." et "qu'elle inclura entre autres les formations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. [...] Ces actions seront lancées dans les prochains jours et s'étaleront sur plusieurs semaines voire plusieurs mois."

Le groupe de Caen, Nine Eleven, pourtant non cité explicitement dans l’article Mediapart s’est lui fendu d’un long communiqué (supprimé depuis) pour se défendre, de façon très agressive, des agissements de l’un de ses musiciens. Le groupe remet en cause la parole d’une des victimes qui témoigne dans l’article mais sans citer son agresseur, puis ils tirent à boulet rouge à droite à gauche sur ceux qui veulent profiter d’un buzz, des justiciers d’internet et plus ou moins des gens qui constituent la scène mais qui ne sont pas “des vrais”. Pour résumer, le message est fort confus, ça se dédouane, sans se remettre en question et on ne sait pas trop à qui s’adresse cette longue diatribe. Toujours est-il qu’au ton du message, il semble bien qu’il y ait un soucis chez Nine Eleven et que l’article de Mediapart a possiblement tapé juste. Plus récemment encore, le groupe de Bayonne, Monarch, a mis fin à son activité. Si le ton de leur petit communiqué reste vague (un des musiciens du groupe n’est également pas présent dans la signature du message), quelques voix laissent à penser qu’une personne problématique pourrait être mis en cause à travers un des témoignages de l’article de Mediapart.

Et pour la suite

En premier lieu on peut essayer de voir comment du côté de Rage Tour les premiers éléments de réponses ont été parfois positifs (se séparer de la personne incriminée) pour finalement tomber dans l’un des travers principaux : en rajouter sur la gueule des victimes d’agression (en laissant planer la menace d’une plainte pour diffamation), même si la structure a regretté cela. On parle aussi du silence assourdissant des différents membres impliqués de près ou de, qui loin laisse aussi perplexe, spécialement des groupes avec des paroles engagées (No One Is Innocent, Lofofora, Punish Yourself…). Avoir une série de communiqués de ces groupes condamnant les propos de la discussion WhatsApp, des marques de soutien pour les victimes et des appels à témoigner / écouter les victimes auraient tout de suite eu plus de gueule. En dehors d’une déclaration sur le fait que l’agresseur ne travaille plus chez eux, et un message pour regretter la réponse "légale" envisagée, c'est le silence. Des actions un peu plus concrètes, même si parfois un peu symboliques auraient pu être prises : charte d’engagement, formation du personnel, sensibilisation des groupes à ces sujets (ne serait-ce pas au tourneur de "former" les groupes : d’apprendre aux membres à ne pas abuser de sa notoriété / son aura ?). Il y a eu plusieurs agressions rapportées dans l’article de Mediapart, donc que fait Rage Tour pour que cela ne se reproduise plus ? Entre dire "on est féministe" et "on a des femmes et des filles" et avoir des actions concrètes (et les rendre publiques) il y a un fossé que l’entreprise n’a pas encore franchi.

Du côté des organisateurs qui programment ces groupes : on a vu plusieurs festivals afficher des messages contre les agressions sexuelles (le Xtreme Fest, le Hellfest…) mais qui continuent de programmer des groupes épinglés par #MusicToo (Guerilla Poubelle est à l’affiche du Hellfest 2022 par exemple) ou à faire appel à Rage Tour en l’absence d’actions pour éviter une redite. Le Hellfest fait appel à une association pour s’occuper des agressions sexuelles du côté festival : qu’en-est-il du côté “backstage” ?. En outre pour Guerilla Poubelle et Guerilla Asso : là aussi, il n’y a eu aucune réaction aux accusations, il semblerait que dans ce cas il y a assez peu d'issues possibles : se retirer de l’association pour qu’elle puisse poursuivre. C’est ce qu’avait fait Stephen des Aulnois, le rédacteur en chef de Le Tag Parfait (un site sur le monde du porno, avec des propos féministes, LGBT…) accusé de cyberharcèlement lors de l’affaire de La Ligue Du LOL : pour que le projet continue, il s’était retiré de ses fonctions et avait donné les clés à une autre personne. 

Beaucoup de personnes parlent d’attendre des décisions de justice et c’est un argument qui revient très souvent : "il n’y a pas de décision judiciaire", "il n’y a rien de prouvé", "c’est parole contre parole". Effectivement, beaucoup de ces affaires n’ont pas de pendant judiciaire, mais il faut aussi comprendre pourquoi : dans les affaires de viols déclarées à la police (qui ne représentent qu’une part, estimée de 10 à 20%, des viols réels) seulement 1% (soit environ 1500 / an) débouchent sur une condamnation (notamment car dans beaucoup de cas ce n’est que parole contre parole, il n’y aucune preuve) (source). Les agressions ne sont par ailleurs bien souvent même pas déclarées pour de nombreuses raisons comme la peur de revivre des événements traumatiques, le fait de savoir qu’il n’y a pas de preuve, le regard des autres, le jugement de la police, etc.

La famille Metal est-elle plus safe que d’autres ? Ce n’est pas la question à se poser : des articles, des réactions, des témoignages… montrent qu’il y aussi des agressions dans notre scène et en douter aurait été quelque peu naïf tout comme elles ont également lieu dans d'autres milieux. Mediapart ou d’autres médias ont encore une fois épinglé certains agresseurs chez des rappeurs, dans le milieu de la musique classique ou encore le label Deaf Rock (lien de l’article). 

Du coup, comment faire en sorte d'éviter que les agresseurs s’en prennent à d’autres victimes et que cela ne se reproduise plus ? Comment faire pour que les agresseurs arrêtent d’être en position de l’être ? Comment faire pour éviter que d’autres hommes agressent des femmes ? Ecouter la parole des victimes est primordiale et est un pas en avant. De l’éducation est nécessaire concernant les agressions et le consentement. Des comportements sont à bannir : dédramatisation, trouver des excuses à l’agresseur, tenter de trouver des torts aux victimes d’agressions, s’en prendre à un ou une lanceuse d’alerte car elle accuse un membre de votre groupe favori… Il serait bon que les personnes ayant un auditoire montrent l’exemple et communiquent là dessus (pas juste en se disant "féministe"). Une réelle prise de conscience est nécessaire à tous les niveaux de la scène : public, groupes, organisateurs, labels… car les agressions ont lieu partout et tout le temps. Il y a quelques années le chanteur de Dennis Lyxzén de Refused s’interrogeait dans une interview du fait que sur scène on trouve seulement 4% de femmes (sur l’affiche du Hellfest), alors qu’elles étaient 20% dans le public : peut être qu’en devenant intolérant aux agressions cela pourrait changer les choses et on espère un jour rendre le milieu plus safe et bienveillant, mais il y a encore beaucoup de boulot.

Nous listons ici les réactions parues après la parution de cet article :
- Le 24 juin : Goathfather et Witchgrove se sont exprimés sur les violences sexuelles dans la scène Metal. Par ici et par là.
- Le 29 juin : Sidilarsen (signé chez Rage Tour) a publié un communiqué sur les violences sexuelles, le sexisme, les mesures prises chez Rage Tour. A lire ici.
- Le 30 juin : Le Xtreme Fest a fait un communiqué sur la situation, détaillant ce qui a été mis en œuvre pour modifier leur fonctionnement et voir les mesures prises chez Rage Tour. A lire ici.
- Le 6 juillet Matthieu Miegeville (chanteur de Psykup, My Own Private Alaska) mis en cause dans un des articles a réagi en publiant un court communiqué.
- Le 9 juillet : suite à un témoignage, dans le podcast Heavystérique, d'un viol par un bénévole à l'Xtreme Fest (en 2017) qui avait été bien pris en charge par le festival. La victime a vu son agresseur en tant que bénévole également au Motocultor (2018), après cette édition le festival est prévenu mais garde en 2019 ce bénévole dans ses rangs. Le festival a réagit sur les réseaux sociaux de façon peu claire dans un premier temps avant de publier un communiqué où l'organisation s'excuse et condamne les violences. Ce bénévole est exclu des prochaines éditions du festival.
- Le 12 et 13 juillet : suite à des accusations de viol visant un tour manager, qui a notamment travaillé avec Mass Hysteria, Alcest, Perturbator... certains groupes réagissent : Mass Hysteria indique après concertation avec l'intéressé ne plus bosser avec lui et Alcest déclarent vouloir un entourage safe dans une story Instagram.
- Le 31 juillet : Psykup annonce le départ de Milka suite aux articles de Médiacité (communiqué).
- Début novembre : suite à l'annonce d'un concert regroupant Lofofora, Pogo Car Crash Control et Guerilla Poubelle : les deux premiers groupes communiquent disant vouloir annuler si la présence de Guerilla Poubelle est confirmée (le groupe n'ayant toujours pas communiqué suite à la publication de l'article de Mediapart).
- Le 15 novembre, un collectif anonyme (Le Collectif du Mois d’Août, se décriant comme un collectif de 5 femmes) publie un billet sur un blog de Mediapart (sans lien avec le média donc, blog créé pour l'occasion semble-t-il) pour parler de l'article de Mediapart. Notamment en se positionnant du coté des agresseurs et des conséquences que ces articles peuvent avoir sur eux (perte d'emplois, exclusion sociale, dépression), l'article pose des questions intéressantes (notamment sur l'après, ou la gravité de faits très disparates) mais se concentre sur les personnes accusées et très peu sur les victimes.
- Le 6 décembre Get The Shot publie un communiqué pour annuler sa venue au Hellfest Warm Up 2022 (où il devait jouer avec Tagada Jones) et l'arrêt de son partenariat avec Rage Tour (qui était leur tourneur français).
- Le 6 décembre, suite au communiqué de Get The Shot le tourneur Rage Tour réagit enfin pour expliquer les mesures prises par la société suite à l'article de Mediapart. (lien)
- Le 16 décembre, Rage Tour met fin au collectif Le Bal Des Enragés. La raison est indiquée et pointe du doigt le discussion Whats App où l'un des membres appelle à violer des féministes. (lien)
- Le 20 janvier 2022 Till de Guerilla Poubelle communique enfin sur les accusations

NB : Nous nous sommes basés sur les articles, témoignages et communiqués publics des différents acteurs, auxquels tout le monde peut avoir accès. Beaucoup d’infos, contre infos circulent sur les réseaux sociaux et sont souvent impossibles à vérifier. Nous ne faisons ici aucune investigation ou n’ajoutons d’infos déjà diffusées. On espère ainsi que chacun.e pourra avoir une vision d’ensemble de ces affaires et de réagir à cela selon ses sensibilités et ses convictions.

A toute fin utile, voici  un rappel des peines encourues (max) selon le type d'agression :
- Viol : jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle
- Agression Sexuelle : jusqu'à cinq ans de prison et 75 000€ d'amende
- Harcèlement sexuel : deux ans de prison, 30 000€ d'amende, voire trois ans et 45 000€ pour une personne qui abuse de son autorité
- Envois de dick pics non désirée : un an de prison et 15 000€ d'amende
- Outrage sexiste : 750€ d'amende

Pentacle (Juin 2021)

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Commentaires

DiscomedusaeLe Dimanche 23 janvier 2022 à 11H15

@Dulobe, J'aurai bien un reproche à formuler sur l'article mais autrement il est plutôt complet si on veut se faire son avis.

"Car je ne vois nulle part qu'un verdict officiel a été rendu par un tribunal."
> l'article te répond assez bien :
"Effectivement, beaucoup de ces affaires n’ont pas de pendant judiciaire, mais il faut aussi comprendre pourquoi : dans les affaires de viols déclarées à la police (qui ne représentent qu’une part, estimée de 10 à 20%, des viols réels) seulement 1% (soit environ 1500 / an) débouchent sur une condamnation [...]."

D'autre part, si on n'a pas lu l'article mediapart payant (mon cas par ex), on entend que les supposés agresseurs puisqu'eux se sont exprimés sur les RS à de nombreuses reprises (à l'exception de Kali une des victimes, le lien est dans l'article, qui se contente de remettre les pendules à l'heure par rapport au tribunal du net justement !). C'est d'ailleurs beaucoup plus cette communication désastreuse à base de "c'est les victimes qui cherchent le buzz avec notre notoriété" ou "on va les mettre en justice pour diffamation" qui leur est reprochée finalement, et ces messages on les a tous vus, ce ne sont pas des préjugés.
C'est aussi cette attitude toxique pour les victimes qui fait qu'aujourd'hui encore trop peu osent parler et peuvent passer par la justice plutôt que par des journaux... C'est peut être le serpent qui se mord la queue pour l'instant, cependant il faut bien commencer quelque part, sinon on continue comme avant, rien ne sort nul part et les victimes ferment bien leur gueule.

DulobeLe Vendredi 21 janvier 2022 à 22H11

Il n'y a que moi que le fond de cet article choque ?

C'est une chose de dénoncer les actes oppressants, voire carrément agressifs, que peuvent avoir certains mâles en manque de domination virile...
Et c'en est une autre de juger du comportement des gens en se basant pour seule preuve sur un article à charge dans un journal ! Il s'agit là d'une bien curieuse conception de la justice...
Car je ne vois nulle part qu'un verdict officiel a été rendu par un tribunal. Depuis quand assène-t-on une sentence en n'ayant écouté que les victimes (et encore, dont les propos nous sont transmis par l'intermédiaire d'un journaliste), sans enquête préalable et sans avoir bien évidemment interrogé les accusés ? Pour l'objectivité, on repassera.
Condamner sur un simple préjugé, sur une rumeur ou sur un ressenti devient symptomatique de la société dans laquelle on vit. Et on en fait en plus étalage sur la place publique sans retenue.

MATHDOKLe Jeudi 15 juillet 2021 à 10H52

Mass Hysteria et Sidilarsen réagissent sur les réseaux, ok. Mais maintiennent leur programmation au Festival 666 à Cercoux les 20/21/22 aout aux côté de Psykup et No One (Rage Tour).
Et sur la page FB du festival, pas un mot sur les affaires...

Tartiflette 666Le Mercredi 14 juillet 2021 à 14H22

Bonjour,
je voudrais juste réagir à ce que vous appelez "l communication désastreuse du hellfest" pour l'affaire de 2019.
En effet, il s'agit d'un pétard mouillé, et cette sordide affaire n'était en fait qu'un mensonge.
D'ailleurs, au delà du fait que RIEN ni PERSONNE n'a pu corroborer cette histoire, la personne sous pseudo qui avait lancé son histoire a également disparu corps et âme de facebook, vraisemblablement dépassée par l'ampleur qu'avait pris son mensonge.
Je pense qu'il est de salubrité publique de faire ce genre d'article qui dénonce ces comportements, ces agressions et ces viols.
Mais il est également indispensable à mon sens de garder un minimum de bon sens et de bonne foi.
Pour cette histoire du hellfest, la meuf a donné tellement de détails que tout était vérifiable, l'heure, le groupe devant lequel elle se trouvait, la présence de ses amis qui ne se sont d'ailleurs jamais manifesté... S'en est suivie une cabale incroyable menée par des dizaines de faux comptes de filles toutes se présentant comme des combattantes kurdes.
Le problème, c'est que nous avons l'impression que si nous remettons en cause le moindre détail, comme je viens de le faire, nous sommes des parias indignes de faire partie du mouvement qui soutenons forcément les violeurs.
Il faut de la mesure.

BiberkopfLe Vendredi 02 juillet 2021 à 00H21

Enfin un site de metal français qui met le sujet sur la table, merci ! Maintenant, déprogrammer de festivals un groupe dont l'un des membres a été mis en cause par des témoignages d'agressions sexuelles et/ou sexistes, c'est la base. Mais il faut aussi aller au bout de la démarche et arrêter d'en faire la promotion en ligne. Parler d'un groupe (surtout en bien) c'est le promouvoir. Pour n'en citer que quelques uns, Môtley Crüe, Vektor, ou encore pire, Inquisition, Manowar, Lostprophets ne devraient plus avoir leurs pages sur ce site. Il y a un gros nettoyage à faire sur la scène et ça passe aussi par les sites web.

SeenoevilLe Jeudi 01 juillet 2021 à 14H08

Acte mascu = acte sexiste
Te formalise pas Fedaykyn ;)

ferniniumLe Mercredi 30 juin 2021 à 15H37

ninas'school = intenable = joueurs de pipeau

rimo75Le Mercredi 30 juin 2021 à 15H34

Cet article est très complet mais pourquoi donner le nom de famille du chanteur de Psykup et pas ceux de Adrien / Rage Tour, Till / Guerilla Poubelle, Michael G / Jerkov, Niko / Tagada Jones et du patron de Deaf Rock?

fedaykynLe Mardi 29 juin 2021 à 10H13

Qu'est ce qu'un "acte mascu" ? J'ai bien une petite idée mais je ne suis pas sur. Je ne suis pas un troll et je ne cherche pas à remettre en cause l'article qui est intéressant. Certaines expressions ou mots ne sont pas partagés par tout le monde quand bien même on fait partie des gens tolérants (enfin des gens normaux quoi). J'imagine donc que "acte mascu" désigne une agression sexuelle ou un viol. Mais il serait préférable peut être d’appeler un chat un chat non ?

SeenoevilLe Mardi 29 juin 2021 à 01H27

Sur une autre scène musicale, Salut c'est cool a été exemplaire sur cette question et a affronter le problème avec beaucoup de courage. Le groupe s'est tout simplement dissous depuis l'acte mascu de l'un de ses membres... Comme quoi la radicalité n'est pas toujours là ou on la crois... Quand des faits/suspicions de harcèlement/agressions... se cumulent (quand bien même sans rendu de "jugement") ça commence quand même à sentir mauvais..
Courage aux victimes, et vive Krav Boca et les autres sans plans de carrières :p

PentacleLe Lundi 28 juin 2021 à 23H49

Merci pour ton message et tant mieux si ça permet de mettre un peu les choses au clair. Par contre aucun courage de notre côté. Celui-ci va plutôt aux personnes qui témoignent, qui ont vécu des choses difficiles et qui prennent la paroles. C'est elles qu'il faut soutenir.

RockaLe Lundi 28 juin 2021 à 21H35

Merci pour cet article très complet et hyper important. Et merci de poser votre courage sur la table pour parler de cette situation. Je n'avais pas les infos sur Till par exemple...