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Le Black Metal, un genre hégémonique
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Cet article part d’une sorte d’impression. J’écoute beaucoup de Black Metal chaque année. Peut-être pas autant que certain.e.s spécialistes du genre, mais tout de même, c’est un style que j’affectionne particulièrement et qui me fascine davantage que d’autres genres musicaux comme le Doom ou le Death Metal par exemple. Chaque année j’essaye de creuser dans les nouvelles sorties et régulièrement, plusieurs de celles-ci finissent dans mes tops de fin d’année. Nul jugement de valeur par rapport aux autres genres, c’est simplement une partie de mes goûts musicaux. Ainsi, j’ai le sentiment que le Black Metal est un genre qui a tendance, au fur et à mesure des années, à truster les sorties des albums Metal, de voir de plus en plus de formations Black Metal sur le devant de la scène que ce soit à travers les labels, la presse spécialisée ou dans les festivals. Alors, est-ce que cette impression peut se confirmer ou du moins peut-être peut-on dégager quelques pistes qui iraient dans ce sens. Ou bien ce sentiment est totalement biaisé ? Posons-nous la question ainsi : le Black Metal est-il un genre musical surreprésenté et si oui, pourquoi ?
Les chiffres monsieur Mélenchon, les chiffres ! Commençons simplement par ce qu’il y a sous nos yeux, en effectuant un petit tour de la boutique. A l’heure actuelle, 500 groupes sont référencés en Black Metal sur Metalorgie sur un total de 5700 ce qui fait 8,7% des groupes que nous référençons sur le site. Ce n'est quand même pas négligeable. Les groupes de Screamo représentent par exemple 4,7% des groupes référencés et du côté du tag Metal, si l’on prend uniquement celui de la grande famille, celui-ci totalise 8,6%, le Death Metal 6,8%, le Doom Metal 5,2%, le Heavy Metal 2,9% tout comme le Thrash Metal. Alors bien sûr, ces chiffres ne se focalisent que sur les cinq genres principaux du Metal et ne prennent pas nécessairement en compte les sous-cathégories comme le Death Metal mélodique pour le Death Metal ou le Sludge pour le Doom Metal. Une petite tendance se dégage mais pas de quoi en tirer en évidence palpable, surtout que Metalorgie est loin d’être un webzine spécialisé dans le Black Metal à l'inverse de confrères comme Thrashocore qui en parle davantage ou également Postchrist qui totalise actuellement 2070 chroniques spécialisées sur le genre.
Allons maintenant faire un tour de manière plus précise vers la plus grande encyclopédie en ligne des groupes de Metal : Metal Archives, histoire de se faire une idée plus claire sur le sujet. A l’heure actuelle, le site référence 14244 entrées de groupes de Stoner / Doom / Sludge, 19894 entrées pour des groupes de Heavy Metal, 27807 références en Thrash Metal et, très loin devant, 46510 entrées en Death Metal. Le Black Metal, lui, totalise 37108 entrées en nombre de groupes, bien moins que le genre le plus représenté : le Death Metal. Chou blanc donc, nous qui pensions que le Black Metal était le genre le plus représenté. Peut-être pas finalement. Mais il serait dommage de s’arrêter à ce constat.
Avant toute chose, ces chiffres basés encore une fois sur les cinq genres principaux du Metal incluent les groupes qui vont naviguer dans tel ou tel genre comme avec Woods Of Ypres qui navigue entre Black Metal, Doom et Goth et ça sera le cas pour un groupe de Black / Death Metal comme Revenge ou par exemple de Possessed entre Thrash et Death Metal. De plus, les étiquettes stylistiques sont parfois subjectives, donc ce que l’on énonce depuis le début est à mesurer et n’est pas à considérer à une vache près. On prendra en compte aussi que le Death Metal est antérieur au Black Metal, exception faite de la première vague avec des groupes comme Venom ou Bathory. Mais ne nous avouons pas vaincus et poursuivons tout de même notre recherche de manière plus approfondie.
Si les chiffres globaux ne semblent pas très pertinents et ne permettent pas de dégager quelque chose de cohérent, étudions les chiffres de manière plus spécifique et plus proche de notre époque actuelle, toujours via les statistiques que peuvent nous offrir Metal Archives. En 2019, on apprend que 546 groupes de Black Metal se sont formés, en comparaison des 373 groupes de Death Metal formés la même année. Il semble plus intéressant de confronter ces deux genres musicaux, puisqu’ils étaient les deux plus significatifs et rapprochés dans nos recherches précédentes. Regardons tout de même les autres styles dans un souci d’équité : depuis 2019, 62 formations de Heavy Metal se sont créées, 99 pour le Thrash Metal et 110 en Doom Metal.
Pour être plus précis, on observe un basculement entre Death et Black Metal autour de l’année 2014. Au début des années 2010, le nombre de création de groupes de Death Metal à tendance à s'atténuer, alors que celui des formations de Black Metal augmente. La rupture se fait donc en 2014 avec 5082 groupes de Death Metal et 5093 groupes de Black Metal formés depuis cette année-là et la tendance va se poursuivre à travers les années avec plus de groupes de Black Metal à se former que ceux de Death Metal et c’est toujours le cas actuellement. Un constat chiffré qui a tendance à se rapprocher de notre postulat de départ, mais avouons en toute sincérité que toutes ces créations de groupes ne viennent pas toutes à nos oreilles et cela reste assez ténu vis-à-vis des auditeurs et auditrices que nous sommes.
Changeons donc notre fusil d’épaule et intéressons-nous donc aux sorties, tous supports confondus (albums, eps, démos, etc) par soucis de facilité et toujours via les données de Metal Archives avec le même procédé qu’auparavant. Depuis 2019, on recense donc 10941 sorties de Black Metal contre 8957 sorties de Death Metal. On constate un écart de 2000 sorties non négligeable. Encore une fois, et de façon à être plus juste dans nos analyses, on totalise 3109 sorties de Heavy Metal, 3380 en Thrash Metal et 3391 en Doom Metal. De manière générale, il est intéressant de noter que cette tendance au nombre de groupes et sorties d’albums se focalise vraiment sur deux genres principaux : Death et Black Metal. Si l’on reprend cette année charnière où la création de groupes de Black Metal et ceux de Death Metal commençait à basculer, au niveau des sorties c’est bien plus flagrant. On constate 39384 sorties pour le Death Metal face à 44069 sorties en Black Metal depuis 2014. Il y a donc eu plus de 4600 sorties de différence en l’espace de cinq / six ans, ce qui n’est pas négligeable et même plutôt intéressant vis-à-vis de notre idée de départ. On a trouvé le moment où la bascule se fait. En 2010, 5114 sorties de Death Metal sont référencées, contre 5033 sorties en Black Metal, ce qui reste relativement ténu, on en conviendra, mais l’année suivante on totalise 5098 sorties en Death Metal, contre 5227 en Black Metal. Pendant deux années les nombres de sorties Black et Death Metal sont assez similaires et équivalents, mais on en revient en 2014 avec 5834 sorties pour le Death Metal et 6239 sorties pour le Black Metal, un différentiel de 405 sorties, tout de même. Et cette tendance, cette augmentation de sorties Black Metal par rapport aux autres genres se confirme les années suivantes.
Effectivement, ces chiffres confirment notre impression de départ, mais pour aller plus loin nous sommes allés regarder du côté des labels. Si l’on prend les grandes écuries comme Nuclear Blast Records, le constat n’est pas flagrant. On trouve bien un petit Oranssi Pazuzu ou un Enslaved dans les dernières sorties, mais ce n’est pas du tout représentatif de son catalogue et le Black Metal se fait assez rare, ce qui est assez logique puisque le label sort des disques de groupes relativement bien connus dans la sphère Metal et de sorties assez mainstream comme Sabaton, Nightwish ou In Flames. Du côté de chez Century Media Records, la tendance est autre. Si on prend en compte les rééditions, sur 2020 on décompte bon nombre de sorties affiliées Black Metal par rapport aux autres genres musicaux avec par exemple Imperial Triumphant, Naglfar, Witchery, Dark Fortress, Marduk ou Svart Crown. Une direction assez similaire qu’on observe également chez Season Of Mist, label historiquement Black Metal avec pas mal de sorties dans le genre pour 2020 avec Carach Angren, Gaerea, Omega Infinity ou Regarde Les Hommes Tomber, même si cela est relativement mélangé par rapport aux autres genres du Metal.
Difficile de prouver que ces labels font du Black Metal un genre surreprésenté, mais une idée se dégage tout de même : ces labels, qui sont très connus dans le monde du Metal, ont une force de frappe assez importante tant dans la communication que dans les ventes, par rapport à des labels plus petits. Il est également intéressant de voir que le Black Metal, dans sa globalité, depuis pas mal d’années, n’est plus un genre underground complètement invisible et le fait que ces gros labels s’y soient intéressés n’est pas sans conséquence sur la visibilité de ce genre. Et puis bien sûr, on oublie tous ces labels principalement orientés Black Metal, qui abreuvent de sorties régulièrement. Ils se nomment par exemple Eisenwald, Les Acteurs de l’Ombre, Osmose Productions, Avantgarde Music, Debemur Morti Productions, World Terror Committee ou encore I Voidhanger Records. On ne va pas quantifier le nombre de sorties de certains de ces labels chaque année, cela n’aurait que peu d’intérêt, et on reviendrait à ce que l’on disait précédemment avec les chiffres de Metal Archives. Par ailleurs, cela est à nuancer avec certains labels spécialisés en Heavy Metal (Shadown Kingdom Records) en Doom Metal (Rise Above Records) ou en Death Metal (Unique Leader Records). Malheureusement, Metal Archives ne propose pas de trier les labels par genres spécifiques. Néanmoins, sur le site, un petit tour du côté des labels français et en parcourant les références on se rend tout de même compte que bon nombre de labels sont spécialisés dans le Black Metal et ça ressort de manière assez significative.
Ces recherches et constats réalisés, il nous reste à nous poser la question du pourquoi. Puisque le Black Metal semble un genre musical surreprésenté, quelles sont les raisons de son développement et de cette forte présence dans les sorties d’albums chaque mois. On peut faire des hypothèses et avancer quelques pistes. La première idée, qui ne plaira sans doute pas aux puristes, c’est la démocratisation du genre de manière générale et son ouverture à d’autres genres musicaux. Post-Rock, Shoegaze, Rock Psychédélique, Hardcore, Sludge, ces dernières années on a vraiment vu pas mal de courants émerger du Black Metal que ça soit tous les groupes de Post Black Metal ou Blackgaze, peu importe l’étiquette utilisée, ou les groupes de Blackened Crust qu’on peut retrouver sur les labels Deathwish ou Southern Lord Recordings. On en revient en quelque sorte à ce dont nous parlions précédemment dans notre dossier sur cette impression que certains genres musicaux peuvent sembler plus vastes que d’autres et avec plus de possibilités (voir notre article). Ceci est à mettre en corrélation avec le fait que certains genres soient tombés un peu en désuétude comme le Heavy Metal ou le Thrash Metal, même s’il y a des revivals par moment où certains engouements pour des groupes ou festivals dédiés à ces genres-là. On pourrait évoquer le retour de Sortilège ou le festival Pyrenean Warriors à Torreilles en France par exemple. Cet effet d’expansion peut également s’expliquer du fait que le Black Metal est un genre relativement jeune par rapport à d’autres styles plus anciens du Metal. Il y a donc cette ouverture sur d’autres genres musicaux qui touche d’autres publics et c’est quelque chose que l’on peut constater dans la politique de certains labels, dans le fait de s’ouvrir à plus de groupes du genre pour toucher d’avantage de monde mais également vers des festivals consacrés au genre comme le Throne Fest, le Nidrosian Black Mass ou le Forest Fest. Même le Roadburn, plutôt dédié à des musiques Stoner / Doom a vu sa programmation bifurquer ces dernières années vers d’avantage de groupes de Black Metal. En somme, toutes ces choses sont plus ou moins liées et imbriquées et constituent un terreau propice pour que le Black Metal se développe.
Un dernier aspect dont on n’a pas encore parlé, est aussi un peu lié à ce qu’est le Black Metal dans sa nature, dans son évocation première et sa mise à nu. Le Black Metal est un genre solitaire, bien plus que les autres styles de Metal. On parle d’avantage de one man band de Black Metal, que de one man band de Thrash, de Doom ou de Death Metal. Techniquement, il est plus aisé de jouer du Black Metal seul que d’autres genres musicaux car cela ne nécessite pas forcément de jouer avec d’autres musicien.ne.s, il n’y a pas nécessairement besoin d’une basse et rythmiquement ça peut être assez simple pour qu’une boite à rythme actionnée en mode double pédale fasse le boulot. Puisque le genre et l’essentiel du propos du Black Metal se transmet à travers des riffs, des mélodies en trémolo picking et aussi avec le chant hurlé, une personne seule peut se charger de tout composer chez elle et de créer des morceaux selon son bon vouloir. L’exemple le plus connu est Burzum, mais il y en a des tas d’autres. On pourrait citer Darkthrone qui compose sa musique à deux musiciens, prouvant encore une fois qu’il n’y a pas forcément besoin d’un.e bassiste / batteur.se / chanteur.se pour fonder un projet de Black Metal à l’inverse des autres genres du Metal où bien souvent, il faut rajouter des personnes, donc des contraintes humaines et techniques pour former un groupe. Bien entendu cela se répercute à tous les niveaux. On joue seul, on enregistre seul, souvent chez soi, sur un ordinateur. Les conditions d’enregistrement sont plus libres, ne demandent pas du matériel de fou furieux vu que par essence le Black Metal se veut sale et repoussant. En quelque sorte, n’importe qui sachant jouer de la guitare de manière pas trop mauvaise (et encore), hurler et s’enregistrer chez soi, peut sortir, dans ces conditions, une démo, un ep, un album de Black Metal et c'est peut-être pour ça qu'on retrouve, avec les chiffres de Metal Archives, autant de sorties de Black Metal, chaque année.
A première vue, il semble difficile de donner une réponse ferme et définitive. Ça serait trop facile et pas forcément super intéressant. Mais les chiffres de Metal Archives, les labels qu'ils soient spécialisés ou non, cette facilité d'enregistrer du Black Metal... tous ces éléments combinés montrent bien qu'il y a une certaine tendance, un attrait et dans tous les cas, une visibilité du genre Black Metal un peu plus importante que pour les autres genres musicaux de la sphère Metal. Encore une fois, il ne s'agit pas ici d'en faire un jugement qualitatif ou une critique vis à vis d'autres styles, mais plutôt de se poser la question et d'étudier ces évolutions au sein de la scène Metal, surtout que cet article tend à dégager une tendance de ces dernières années, mais qui sait, peut-être que des bouleversements sont à venir dans la prochaine décennie ?
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On a hâte de lire tout ça alors :p (je mets un "effort méritoire" pour la blague ^^)