Le Black Metal au pays des tulipes : zoom sur la scène hollandaise

par Skaldmax (17/12/2020)


C’est qu’ils commencent à sérieusement faire parler d’eux. Si l’Islande a tenu en haleine les fans de Black Metal ces dix dernières années, les Pays-Bas semblent également se faire une place au soleil. Bien que présents depuis quelques temps déjà, 2020 semble avoir été l’année clé pour qu’éclosent
 Turia et Fluisteraars, ainsi que toute la nébuleuse de projets qui les entoure. 

Cet article n’a pas pour ambition de couvrir toute la scène du pays (qui regroupe des noms et styles divers comme Carach AngrenUrfaust ou An Autumn For Crippled Children par exemple) mais de zoomer sur un microcosme d’artistes particulièrement actifs et visibles ces derniers temps. Basé sur des recherches et une interview croisée d’il y a quelques mois qui n’est pas allée à son terme, ce papier tentera d’élucider le fond et la forme de ce qui se joue au pays des tulipes côté Black Metal. 

Une micro-scène

Les sorties Black Metal n'ont pas manqué du côté des Pays-Bas ces derniers mois. Des dizaines d'artistes se seraient-ils réveillés un beau matin pour sortir un album ? Pas vraiment, en fait à y regarder de plus près sur Encyclopaedia Metallum, on ne dénombre qu’une poignée de musiciens pour un bon nombre de groupes. Les line-ups (dont les membres ne se font appeler que par une simple lettre) sont très consanguins. Solar Temple, par exemple, réunit O (qui officie également chez GalgImperial CultIskandrLubbert DasNusquamaTuria, DoolEden to Ashes) et M (que l’on retrouve dans FluisteraarsGalgKnoestNusquamaBong Breaker). J lui, est batteur chez Turia et Lubbert Das, tandis que T chante dans Nusquama et Turia. Un beau bordel, qui témoigne néanmoins d’une forte productivité et qui n’est pas sans rappeler la scène islandaise évoquée plus haut. En effet plus au Nord, chaque musicien de Sinmara joue dans au moins un autre groupe, et le stakhanoviste D.G. se distingue chez Misþyrming0, AndavaldDrottinn, Martröð, Nadra, Skaphe
Photo de Turia.

« Nous sommes amis avant tout, à tel point que l’on échange de la musique, des idées, ou que l’on se prête du matériel au besoin » nous confiait Omar (alias O) il y a quelques mois. 

Confortant l’idée d’une scène, et pas seulement d’un agrégat informe de groupes, une bonne partie des disques de cette nouvelle vague néerlandaise sort essentiellement sur deux labels, Haeresis Noviomagi et Eisenwald. Le premier est plus petit, vient de Hollande et ne compte que quelques groupes locaux dans son roster, parmi eux Empyrean GraceIskandrLubbert Das, Solar TempleTuria. Il collabore avec Eisenwald, maison allemande qui sort notamment les Uada et autres Evilfeast, mais aussi FluisteraarsTuria ou Iskandr. Eisenwald a d’ailleurs aidé ces groupes à se professionnaliser et à prêter attention au moindre détail de chaque sortie (et il faut croire que ça paye). 

Nature et transcendance

A la manière d’une école ou d’un mouvement artistique unifié, les musiciens derrière la pléthore de projets mentionnés plus haut font preuve d’une cohérence thématique saisissante. Le petit nombre d’acteurs aidant, la nature et ses merveilles sont très fréquemment au cœur de la démarche. Pas besoin de parler hollandais, en jetant un œil aux pochettes du label Haeresis Noviomagi, on ne peut que remarquer une ligne directrice. Montagnes, champs, forêts et ruines anciennes peuplent les artworks, tandis que l’Homme en est quasiment absent. Quelques coups de pouce de traducteur en ligne plus tard, et l’on réalise que les titres confirment un attachement marqué au monde qui nous entoure. La musique complète le tableau : la tendance est nettement aux pièces atmosphériques étendues, où l’on retrouve davantage une impression d’immensité que de violence gratuite. Les œuvres sont contemplatives, et pour cause. 
Les sorties de Haeresis Noviomagi, 2015-2020. 

Fluisteraars a nommé son dernier album Bloemfleur ») et l’un de ses EP Gelderland, d’après la province du même nom. De Oord, sorti en collaboration avec Turia, chante lui les rivières : chaque formation s’est en effet attelée à rendre hommage à une rivière (la Waal et la Rijn, rattachées au Rhin) à travers un morceau. Idéalement situé dans une réserve naturelle à quelques mètres seulement de la Waal, le studio d’enregistrement investi par les deux entités a été l’occasion de célébrer « de oorde », ancien vocable local signifiant « là où deux rivières se rencontrent et se mélangent ». Un titre tombant à point nommé pour désigner le travail de deux groupes s’influençant mutuellement. 

Degen Van Licht, quatrième piste du disque du même nom sorti par Turia début 2020, rend hommage aux montagnes et à leur majesté. Pour Omar, ici guitariste, quoi de plus évident ? « J’ai toujours été attiré par les forêts et la nature qui entouraient la ville où j’ai grandi, avant même d’avoir de l’intérêt pour la musique. Le Black Metal a été une découverte incroyable pour moi, car il résonnait avec les sensations que j’éprouvais jusqu’alors quand j’étais seul dans des endroits sauvages. »

Réuni avec son ami M sous l’égide de Solar Temple, il produit une musique quelque peu mystique à l’oreille, le nom même du projet aidant à se figurer des croyances anciennes. « Les civilisations ancestrales ont toujours accordé de l’importance au soleil et à sa capacité à faire croître la vie. Lorsqu’il perce à travers des nuages épais, ses rayons forment alors les piliers d’un temple. » Faut-il y voir une recherche de spiritualité ? « Dans notre langue, le mot spiritualité est un peu compliqué, il porte une connotation dans laquelle je ne me retrouve pas. Bien sûr, on cherche à atteindre une certaine essence des choses avec notre musique, elle n’est pas censée être superficielle ou bêtement violente. Alors la spiritualité y a sûrement une place, mais ce n’est pas ce que l’on recherche. » Le Black Metal en a chanté les louanges pendant des décennies, mais ici point de trace de Satan, ni même de son ennemi juré. Seulement l’être humain, en émoi devant ce qui l’entoure et le dépasse. Une esthétique assez proche du romantisme du XIXeme siècle, qui liait hommages à la nature et sentiments poétiques. 

Un Black Metal stratégique et 2.0

Cohérents, intéressants musicalement, après tout Turia et ses copains ne sont pas les seuls à l’être, alors pourquoi en venons nous à parler d’eux, comme l’ont fait les collègues de Horns Up, Thrashocore ou Heiðnir Webzine ? Après tout pourquoi ne pas se poser la question : pourquoi ça marche ? Ces formations sont encore jeunes pour la plupart mais elles font parler d’elles (toute proportion gardée). Ou bien, elles ont bien marché depuis peu alors que leurs premières sorties étaient passées inaperçues (particulièrement Fluisteraars). Coup de chance ? Coïncidence ? Non, plutôt une successions de bonnes décisions qui contribuent à rendre visibles ces groupes dans l’océan gigantesque du Black Metal actuel.  

A l’instar de la scène islandaise, décidément très proche dans ses méthodes, Bandcamp s’est révélé être un formidable outil d’exposition. Plus précisément, la possibilité de distribuer sa musique à prix libre (ou « name your price ») a aidé à lancer Turia par exemple, qui avait connu un pic de popularité en 2017 avec son Dede Kondre. Les téléchargements gratuits ou à faible coût aidant, l’album avait surnagé quelques temps dans les meilleures ventes de la section Black Metal du site. Une belle exposition qui aura planté les graines d’un succès à venir. On a en effet pu voir Degen Van Licht en bonne place dans le classement cette année, tout en affichant cette fois avec une vente numérique payante ou une version physique plus onéreuse. 
Bandcamp, nouveau repaire pour percer dans le Black Metal game. 

Adoptant la même stratégie, le split live de Turia et Lubbert Das ou la première œuvre d’Empyrean Grace disponibles en « name your price » se frayent ces temps-ci un chemin vers la page d’accueil du site musical. En son temps, c’est Fallen Empire Records qui avait su tirer profit de cette méthode, en laissant l’auditeur ou l’auditrice libre de verser des deniers ou non à Nadra, Misþyrming ou Death Fortress

En complément, il faut occuper le terrain. En n’hésitant pas à publier des formats variés, les Hollandais font parler d’eux. Le rythme de sortie n’est pas abusif et évite la saturation, mais il est suffisant pour que l’on ne les oublie pas trop longtemps. Fluisteraars a ainsi quatre items à son actif depuis 2018 : un EP, un split, un album et une compilation de vieux titres ré-enregistrés. 

D’autres petits plus permettent à l’auditeur séduit de garder un œil alerte sur cette scène. Le nombre réduit de labels concernés évite de rater quelque chose, et l’existence d’une petite structure comme Haeresis Noviomagi, uniquement dédiée à une poignée de groupes de ce même cercle, permet de focaliser l’attention sur eux. Par ailleurs, une certaine cohérence visuelle entre certaines pochettes saute forcément aux yeux. Empyrean Grace, inconnu au bataillon, jouit sur Bandcamp de l’aura de Nusquama et Solar Temple qui avaient tous deux opté pour une illustration bicolore dans les mêmes tons ocre. 

Sans explicitement se présenter comme un collectif (dont les membres restent franchement discrets), cette scène en a pourtant tous les avantages. Chaque groupe semble rayonner sur les autres, quelques clics suffisent à déceler des ramifications évidentes entre les uns et les autres. Une sorte de « Do it together » à l’échelle des musiciens eux-mêmes (des potes créatifs qui jouent de la musique ensemble et s’entraident) qui se reflète dans une vague unifiée que l’auditeur lambda, même à des kilomètres, peut percevoir sans mal. 

Quelques albums à écouter
Fluisteraars - Bloem (chroniqué ici)
Turia - Degen Van Licht (chroniqué ici)
Nusquama - Horizon Ontheemt
Solar Temple - Fertile Descent (chroniqué ici)

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