Festival Metal Oper'art Opéra National de Strasbourg (26/04/2017)

L'idée d'organiser un festival de metal dans un opéra était séduisante, pas parce que ça n'avait jamais été fait avant en France, mais parce qu'elle impliquait des conditions d'accueil et logistiques meilleures que dans un concert traditionnel, que ce soit pour les artistes comme pour le public. En effet, l'opéra évoque une certaine déférence et un respect presque sacré de la musique qu'il abrite, qui impliquait donc que les artistes programmés puissent jouer dans un environnement optimal. Le tout était de savoir si la pratique allait-être à la hauteur de la théorie. En tout cas, le public et la presse avaient répondu présent, le festival étant presque complet et l'intégralité des concerts retransmis sur ArteLive et regardable en streaming par le par le plus grand nombre.


Laniakea

Il est foncièrement inhabituel d'assister à un concert de metal extrême dans une configuration entièrement assise, et c'était là aussi l'un des paris pris par l'organisation : arriver à convaincre des gens habitués de l'opéra ne venant jamais en concert de metal, mais aussi les vétérans de concerts metal à regarder les groupes dans ces conditions. Force est de constater que l'on s'habitue vite aux sièges, même s'ils empêchent de se déplacer librement dans la salle. Comme le nom du groupe le laisse supposer, Laniakea développe des compositions death metal teintée de d'éléments progressifs. Les morceaux sont longs, aux structures et rythmiques complexes, se rapprochant de groupes comme Hypno5e et Gojira.



On peut remarquer que les musiciens affichent une impressionnante maîtrise de leurs instruments, en dépit de leur jeune âge (aux alentours de vingt ans). Mention spéciale au batteur Thomas Crémier, même si le mixage ne le met pas beaucoup en valeur. Au milieu du parterre, le son n'est pas trop fort, ce qui est appréciable, mais il est à la limite inférieure où le volume est trop bas pour donner la puissance requise aux compositions du groupe, et créer l'effet d'immersion permettant à un concert de fonctionner. De fait, on ne retrouve pas ici le punch des enregistrements studio de Laniakea, d'autant que la précision du son s'écaille sur les passages les plus denses, et ils sont nombreux. C'est contrebalancé par de très beaux passages en guitare claire, plus marquant que les riffs distordus dans cette situation. Au niveau du chant, le growl des guitaristes manque de coffre pour pleinement convaincre. Ceci s'ajoute à une présence scénique un peu effacée, expliquée en partie par l'âge des protagonistes, sans doute sous pression d'être regardés par des milliers de personnes sur le net, qui ne le serait pas ?
 


Pourtant, l'accueil réservé à Laniakea par le public est chaleureux, signe qu'une majorité a apprécié leur prestation. D'un côté, la formation était bien en place malgré leurs compositions élaborées, de l'autre il y avait quelque chose qui ne rendait pas l'écoute pleinement satisfaisante. Est-ce à cause du son ou du manque d'expérience des musiciens à jouer des concerts de cette amplitude ? Sans doute un peu des deux. C'est d'autant plus frustrant que la performance comme les chansons en elle-mêmes suggéraient un vrai potentiel de progression. Les regards seront donc tournés sur Laniakea pour leurs prochains concerts et la sortie de leur deuxième album, dont les deux extraits joués ce soir étaient prometteurs.

Grorr

Avec son intro qui rappelle Kenji Kawai, Grorr attire rapidement l'attention. Comment décrire leur musique ? Imaginons les guitares de Meshuggah fusionnées avec des touches de musique tribale et indienne, le tout avec un habile sens de la composition. Difficile de ne pas se prendre au jeu face à ces riffs syncopés groovy, dopés par un son puissant et précis. On sent aussi le groupe beaucoup plus expérimenté et serein sur scène, ils ont sans doute plus de concerts dans le buffet que Laniakea, même si la densité moindre de la musique doit rendre la tâche plus facile.



Le chanteur Franck assure avec un chant clair musclé, mais ne bouge pas beaucoup, la faute à une blessure aux côtes. Leur sampleur s'occupe aussi des choeurs avec brio, ce qui donne un plus non négligeables aux lignes de chant. Il active la plupart des samples sur ce qui ressemble à un clavier. Rien à dire, le groupe est vraiment au point, leur prestation ne fait pas un pli. Après quelques morceaux, on voit Sylvain (samples) s'asseoir dans une position étrange, avant d'empoigner un sitar. C'est un vrai plaisir de voir enfin cet instrument faire une incursion digne de ce nom dans le metal, autrement que par de timides incursions samplées. Les résonances de l'instrument sont ici parfaitement intégrées dans les compositions, tout en étant au premier plan, rendant la musique de Grorr encore plus appréciable.



Ceci fait vite passer les 40 minutes de set, qui se concluent avec un morceau incorporant des nappes de cornemuse une fois de plus intégrées avec intelligence dans la musique. Voilà un groupe qui, sans avoir une base instrumentale vraiment originale, arrive à se démarquer avec des emprunts bien pesés à d'autres cultures musicales. Une réussite.


Psygnosis

Le line-up de Psygnosis peut faire hausser les sourcils : jouant des compositions uniquement instrumentales, ils ont une batterie programmée et un violoncelliste en plus de deux guitaristes et un bassiste. Avec une telle formation, on peut s'attendre à quelque chose de d'inhabituel. Cependant, leur metal progressif aux relents de Meshuggah (encore) présente des riffs qui manquent un peu de folie. L'agressivité et l'énergie sont présentes, mais il manque le petit quelque chose pour faire pleinement tourner la machine. Il faut dire que le son des guitares est soit trop brouillon, soit pas assez mis en avant dans le mix au profit de la batterie programmée. Ceci donne parfois l'impression que toute la lourdeur du groupe repose sur la grosse caisse programmée et pas les instruments joués sur scène, ce qui est un peu frustrant, d'autant plus que la mise en place des musiciens est au point.



Ici, les guitares jouent la rythmique, pendant que le violoncelle se charge de la mélodie dans la plupart des cas, occupant le rôle habituellement endossé par un chanteur. L'idée est intéressante et offre une multitude de possibilités mélodiques qui sont plutôt bien exploitées par Psygnosis. Parfois, le bassiste essaye de faire participer le public, sans grand succès. Peut-être que le fait d'être dans un opéra est intimidant pour certains.



On entend quelques touches électroniques dans la batterie, mais qui sont trop rares et discrètes pour être marquantes. L'emploi de transitions en guitare claire et de samples de films apporte également plus de diversité à leur musique, mais peine à retenir l'attention. En fait, il est difficile de ne pas faire la comparaison avec d'autres formations instrumentales officiant dans un registre proche, particulièrement The Algorithm ou Stömb, et ni les riffs, ni les arrangements n'arrivent à tenir la comparaison. C'est dommage parce que Psygnosis se donne beaucoup sur scène. Tout porte à croire qu'ils ont en main tous les ingrédients pour réussir, sans qu'ils les aient encore bien équilibrés pour faire une bonne recette.


Igorrrr


Igorrr méritait largement sa place de tête d'affiche au Metal Oper'art, déjà parce que sa musique est l'une des plus inventives à avoir émergé de la scène metal ces dernières années. C'est aussi un des rares musiciens à avoir incorporé du chant lyrique dans sa musique de manière si naturelle, en l'ajoutant sur une couche de breakcore, de metal extrême et de musique baroque sans que l'un de ces éléments dénote avec un autre. Aussi, voir son groupe dans le cadre de l'opéra avait de quoi attiser la curiosité.



Le concert commence justement sur un a capella de la chanteuse de la formation Laure Le Prunenec, qui donne déjà des frissons au public avec son interprétation pleine de mélancolie. Bien vite, le metal entre en scène avec Laurent Lunoir, dont les hurlements donnent un voix à l'agressivité des compositions. La grande nouveauté avec Igorrr, c'est l'ajout d'un batteur à la formation, qui apporte une dimension percussive organique et on ne peut plus metal au tout, notamment par de multiples passages en blast beat. Sylvain Bouvier (Trepalium) a l'air physiquement très sollicité, mais assure la performance avec un jeu puissant et polyvalent.



Gautier Serre
, compositeur d'Igorrr, en est aussi le chef d'orchestre en lançant les instrumentaux de son ordinateur, qu'il refaçonne sur scène en déclenchant des samples ou en ajoutant des effets. On peut noter que le son est vraiment bon, équilibrant bien les machines et la batterie, même si les voix auraient pu être mises un peu plus en avant dans le mix. Le set fait la part belle à Nostril, un album devenu culte aujourd'hui. La transposition de ces morceaux avec la batterie se fait sans accroc, dont on retrouve toujours la touche Igorrr, tout en lui donnant un aspect plus aéré, moins surchargé que les versions studio. C'est encore plus vrai sur les nouveaux morceaux "Opus Brain" ou "viande", où les percussions se complètent parfaitement à les riffs de guitare samplés pour des passages à mi-chemin entre black et death metal. Parfois, Laure danse sur les passages dépourvus de chant, ce qui est presque comique tant le décalage est grand entre Igorrr et l'idée qu'on peut avoir d'une musique "dansante".



Ainsi, Igorrr se révèle toujours aussi pertinent sur scène, a fortiori avec les morceaux de son album à venir Savage Sinusoid, qui sont plus rentre-dedans et accrocheurs, mention spéciale à la dernière partie de "ieuD" qui est jouissive et diablement groovy. Les deux chanteurs n'ont rien perdu de leur superbe et se maintiennent comme deux voix uniques comme on peut rarement en entendre, que ce soit dans la scène metal ou en dehors. Il y a fort à parier que cette nouvelle mouture d'Igorrr va faire des ravages en concert, notamment au Hellfest.


Empyrium


Pour sûr, le premier concert français d’Empyrium fut l’un des moments fort de l’édition 2016 du Hellfest. Mais l’environnement pas tout à fait paisible n’en faisait pas le cadre idéal pour écouter la musique d’Ulf Theodor Schwadorf et Thomas Helm, dont le côté solennel et introspectif réclamait un écrin différent, plus intimiste. Et l’Opéra National du Rhin remplissait pleinement ce critère. Le set s’ouvre sur le beau « Mourners », qui révèle le groupe jouant entièrement assis. Quelques larsens se font entendre, mais le son est globalement excellent, mis à part le violon qui est un peu en retrait. On peut donc profiter du délicat travail de guitare claire d’Ulf et Eviga (Dornenreich). Dans ces compositions, une synthèse d'influence peut se remarquer, aussi bien Dead Can Dance que le Bathory de Blood Fire Death et Hammerheart.



Tout en maîtrise, Empyrium déploie une sélection de chansons qui pioche dans toutes les époques de son répertoire, jouant notamment leur dernier single en date "The Mill", qui s'éloigne du black folk des débuts vers le néofolk. Le duo de voix claire entre Ulf Theodor et Thomas est particulièrement convaincant, distillant des harmonies qui sont embellies par leurs différences vocales : si Ulf a un chant assez sobre et sans artifice, Thomas a visiblement une formation classique, faisant entendre une voix de ténor, qui fonctionne très bien en solo par ailleurs. Les rares passages avec le growl mat d'Ulf sont placés pour jouer avec la dynamique des morceaux, devenant le climax de l'histoire que les musiciens racontent.



Bon, peut être n'était-il pas nécessaire de placer des samples de vent qui souffle à presque toutes les pauses entre les morceaux. C'est logique étant donné qu'une bonne partie des morceaux d'Empyrium font hommage à la nature, mais là, ça frise le cliché. Rien de quoi gâcher le concert en tout cas, alors qu'Ulf a visiblement des problèmes avec ses moniteurs d'oreilles, qu'il signale avec véhémence à son roadie. Cela nous amène rapidement à la fin du concert. Empyrium conclut avec deux titres très rarement joués sur scène  : "The Ensemble of Silence" et "A Gentle Grieving Farewell Kiss", qui apportent une conclusion subtile et délicate à cette première édition du Metal Oper'Art.



Si on fait le bilan, on peut dire que le Metal Oper'art est une réussite, avec une majorité de très bons concerts, qui a permis aux groupes de s'exprimer dans les conditions exceptionnelles de l'Opéra. Selon une déclaration du programmateur en fin de soirée, il y a de bonnes chances qu'une deuxième édition ait lieu, une excellente nouvelle pour l'amateur de metal qui souhaiterait vivre un festival hors des sentiers battus. Reste à savoir si l'affiche restera orientée vers le metal moderne ou autre chose, affaire à suivre !

Neredude (Mai 2017)

Photos : Arnaud Dionisio / © 2017 Deviantart
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.

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