Bill Kelliher (Mastodon) Le Zénith de Paris, le 4 juillet 2014

Nous étions quelques impatients à l'idée de nous entretenir avec Bill de Mastodon. Après une première impression un peu froide, car le gaillard affiche un air sérieux et bourru à la fois, nous nous apercevons vite qu'il s'agit en fait d'une crème, qui avait énormément de choses à dire au sujet du nouvel album du groupe, fraichement sorti au moment où a été réalisée cette interview...

On ne va pas être très originaux pour débuter : vous venez de sortir Once More 'Round The Sun il y a peu de temps. Comment a-t-il été accueilli ?

Très bien ! Je crois que c’est même l’album avec lequel nous avons eu les meilleurs retours, et surtout le meilleur départ : nous avons été numéro 1 au Billboard aux Etats-Unis, et même chose en Angleterre. On voit surtout des chroniques positives sur l’album, et les commentaires des fans sur Facebook et Twitter ! Après c’est vrai que pour les fans de Remission et Leviathan, nous ne faisons plus la même musique, nous ne sommes plus dans cet état d’esprit ! On le pourrait, mais non, on ne veut pas refaire ce qu’on a déjà fait. C’est ce qui nous permet de faire de meilleurs albums et de plus grande envergure chaque fois.

On dirait que ton jeu de guitare est un peu plus agressif, abrasif, sur cet album par rapport à The Hunter ? Et d'un autre côté, le chant de Troy paraît plus calme et posé...

Les structures des chansons sont plus nettes. J’aime composer des chansons avec des riffs bien lourds, il faut que ça buzze, pour donner un côté "Neurosisien" à la musique. Je ne suis pas vraiment porté sur le côté technique dans ma musique, pas tout le temps. Des fois c’est en allant au plus simple qu’on obtient le truc le meilleur, le plus accrocheur…

Tu utilises aussi beaucoup d’effets psyché que tu n’avais pas sur The Hunter, c’est quelque chose que tu recherchais ?

Tout à fait, on utilise beaucoup de delay, du phaser, j’ai une pédale tremolo, des micros Leslie… On est des grands fans des Pink Floyd ! Le meilleur moment, c’est quand on en était encore à la production de l’album, on pouvait laisser cours à nos envies et nos inspirations, et on pouvait se dire "tiens, je vais essayer ça, tiens je vais aussi mettre de ça en plus…", puis tu te retrouves avec tout un tas de pédales devant les pieds, et en route !

Les parties vocales de Brann sont très nombreuses sur l’album. Pensiez-vous qu’il arriverait jusqu’à prendre une place aussi importante dans le chant, quand il a commencé avec les chœurs sur Blood Mountain ?
 
Brann a toujours eu une belle voix. Je savais qu’il progresserait, et s’il est autant présent sur l’album, c’est qu’ensemble lui et moi, nous avons composé beaucoup de chansons de l’album. J’ai chez moi un petit studio d’enregistrement. Pour une chanson comme Oblivion, où il chante au début, d’habitude on aurait composé le riff, le solo, Brann aurait écrit les paroles mais aurait laissé les autres chanter ! Là on lui a dit "non, tu chantes !", et le résultat a été étonnant ! On préfère parfois se baser sur l’idée de départ, plutôt que sur le rendu final qui aurait été éventuellement meilleur. Je pense qu’à l'avenir on va faire en sorte que chacun chante ce qu’il compose lui-même.

Pourquoi ne pas avoir fait à nouveau un concept album avec Once More 'Round The Sun ?

Il y a quand même une idée sous-jacente derrière Once More 'Round The Sun même si ça ne relève pas du concept album. Je ne sais pas en fait, là on s’est vraiment concentré à composer les titres, et un concept album, ça prend du temps à écrire ! Toutes les chansons doivent être liées au niveau des paroles, et comporter des transitions entre elles également au niveau musical. Mais c’est quelque chose que nous ne contrôlons pas vraiment, c’est plutôt qu’à des moments donnés, on a senti le truc venir tout seul, pour les précédents albums, mais là ça n’a pas été le cas.

High Road est la première chanson de Once More 'Round The Sun a être illustrée par un clip vidéo. Pourquoi l’avoir choisie en particulier ?

C’est une excellente question, et c’est une question pour notre maison de disque ! (rires)

Vous n’avez pas le contrôle sur ces choix là ?


Pas vraiment ! Quand on compose un album, on fait les chansons une par une. On n’est pas en train de se dire "tiens, celle-là ça sera le single, celle-là non…". On préfère écrire, composer et se dire "putain, elle tue celle-là". La maison de disque arrive ensuite, et en écoutant l’album, elle dit "j’entends 5 singles dans cet album" puis elle valide telle chanson, telle autre… Et là, ils ont choisi High Road ! Ça nous va complètement, car on pense que chaque titre de l’album est une tuerie. S’ils avaient dit le nom d’un autre titre, notre réaction aurait été la même ! Techniquement, c'est sûr que les chansons qui enchaînent 3 fois « couplet/refrain » et durent moins de 3 minutes ont beaucoup plus de chances de finir en single. Après les gens se demandent parfois aussi, surtout quand l’album complet n’est pas encore sorti, si le premier single est représentatif de l’album entier ! Ça par contre, c’est impossible à dire tellement il y a d’ambiances différentes sur le disque…

Le clip de High Road est assez fou ! Il est inspiré d’une histoire vrai ?

(Rires) Bien sûr, on a tous connus ça quand on a été gosse ! (rires) On trouvait ça simplement "drôle" l’histoire du gamin qui se fait tabasser. Il y a déjà des tas de groupes comme Korn qui ont traité du sujet, le gamin harcelé à l’école… On voulait aller un cran plus loin, avec un vrai nerd qui joue à du Advanced Dungeons&Dragons en grandeur nature. C’est quelque chose vachement populaire maintenant, de se déguiser comme ça. Du coup c’est facile aux gens de faire le rapprochement avec tout ça, de s'identifier.

Scott Kelly apparait encore comme guest sur cet album, comment ça s’est passé cette fois ci ?

Quand j’ai commence à écrire cette chanson, Diamond in the Witch House, je me suis dit "mais c’est pas une chanson de Neurosis ça ?". J’avais écrit ce riff il y a plusieurs années, et quand on le jouait avec Bran, il pensait la même chose ! Et quand on est arrivé en studio, on s’est à peine posé la question, car de toute façon, c’est forcément génial d’avoir Scott sur nos albums, et à l’unanimité, c’était vraiment la meilleure chanson à laquelle il pouvait participer ! Pendant une tournée américaine en commun avec lui, il venait sur scène avec nous pour chanter sur 4 ou 5 chansons à la fin du set.

Vous avez enregistré en studio avec lui ?

Oh non, on ne s’est encore jamais croisé en studio une seule fois, toutes ses participations se sont fait à longue distance grâce à internet ! On lui a envoyé la piste audio, et il s’est débrouillé avec dans son propre studio, à l’autre bout des États-Unis. Il est au Nord-Ouest, nous au Sud-Est, difficile de faire plus éloigné (rires).

Il y aurait un guest que vous rêveriez d'avoir ?

Elvis Presley ! (rires)

L’artwork de Once More ‘Round The Sun a été réalisé par l’artiste Skinner, et change de vos précédentes pochettes. Y a-t-il une signification derrière ?

La signification, mec ? Faut être sous acide ! (rires) Je n’en sais rien à vrai dire, faudrait lui demander directement.

Vous lui avez donné carte blanche ?

Non, non, on lui a dit le titre et de quoi parlait l’album pour qu’il trouve son inspiration, un voyage autour du soleil, qui durerait une année, comme le temps qu’il nous a fallu pour l’écrire, et mettre toutes nos idées dedans, et toutes les choses qui se sont passés dans nos vies. Les deux créatures qui apparaissent sur la pochette représentent en quelque sorte le bien et le mal, et le fait de devoir naviguer entre les bonnes et les mauvaises choses qui t’arrivent dans la vie, les bonnes et les mauvaises décisions que tu prends… C’est une combinaison d’un peu tout ça je pense.
 
Pourquoi avez-vous mis un terme à votre collaboration de longue durée avec Paul Romano après l’album Crack The Skye ?

On adore Paul, et son travail est vraiment fabuleux. Ce qui était bien au début, c’est que c’était une relation quasi-exclusive, dans le monde de la musique il ne travaillait que pour nous, son travail était très reconnaissable et immédiatement associé à notre musique. Puis il a gagné en reconnaissance et popularité, et a commencé à être demandé par d’autres groupes. Ce qui est cool pour lui, je ne dis pas le contraire, mais du coup nous avons eu envie d’aller voir ailleurs nous aussi ! Tout ça s’est fait de façon très amicale et nous sommes toujours en excellents termes avec lui. L’artwork de The Hunter était pour moi comme une bouffée d’air frais, pas seulement l’artwork en lui-même, mais le fait de travailler avec quelqu’un d’autre. Et avec Skinner ça a été pareil, et ce qu’il nous a fait, c’est complètement un truc de fou furieux ! Je l’adore, c’est une bombe ce tableau. On pourrait s’imaginer à faire de pompeux commentaires d’art devant ! Paul lui était très sérieux dans son fonctionnement, pour Crack The Skye, quand on connait tout le background autour, l’art et l’imagerie russe, avec les ours et la religion, il a fait énormément de recherches et il a assemblé tout ça. C’est plus sérieux que du sérieux à ce niveau là ! On est un groupe plutôt sérieux aussi, même si on peut par moment partir en vrille, mais je pense que pour le nouvel album, il fallait vraiment un artwork qui s’affranchisse de tout ça !

Je trouve que c’est un très bon reflet de la musique justement !

Je le pense aussi ! Paul aurait sûrement fait un truc très cool également, mais je pense que maintenant qu’on a franchi le pas, on ne peut plus qu’aller de l’avant vers des trucs encore plus énormes.

Vous avez annoncé que la sortie de Once More 'Round The Sun sera suivie par la sortie d’un EP. Ce seront des chansons composées spécialement pour, ou bien il s’agira des chutes de l’album ?
 
Oui, il sera composé de chansons qui ne correspondaient pas assez à l’esprit ni à la dynamique qu’on voulait insuffler à l’album. On a composé des tas de chansons pour l’album, et plusieurs d’entre elles étaient restées à un stade inachevé, la plupart sont des chansons plutôt cools, tranquilles, pas du tout heavy comme celles de l’album. On a gardé tout ce qui cognait bien pour l’album, et le reste, vous aurez peut-être droit à un EP début d’année prochaine, on verra…

Troy joue également dans le super-groupe Killer Be Killed maintenant. Est-ce que son travail et son implication avec Mastodon a changé depuis ?

Je n’ai pas l’impression, Mastodon reste sa priorité il me semble, j’ai moi-même un side-project qui s’appelle Primate, je m’en occupe dès que mon activité avec Mastodon me laisse du temps libre, mais Mastodon passe pour moi avant tout le reste. En tout cas pour Troy, ça n’a eu aucune incidence pour nous, c’est même cool au contraire, ils ont fait un putain d’album ! (rires)

Vous avez déjà joué Crack The Skye en intégralité en live, et vous aviez prévu de faire pareil avec The Hunter pendant le Sonisphere 2012 avant qu’il soit annulé… Est-ce un projet que vous souhaiteriez tenter à nouveau avec cet album, ou un des anciens ?

Oui, Il me semble d’ailleurs qu’on l’a fait au final, The Hunter en entier, mais pas en jouant les chansons dans le même ordre que sur le disque ! Ce serait vraiment une excellente idée de mettre ça sur pied pour Once More 'Round The Sun, de faire un autre backdrop spécial avec l’artwork de ouf en entier dessus, et de jouer l’album en entier. On y pensera pour l’an prochain, on devrait être de retour en Europe d’ailleurs fin 2015. Mais on va attendre que les chansons fassent leur chemin dans la tête des fans (il baille et se met à rire) Désolé !

En jetant un regard rétrospectif sur votre carrière, Crack The Skye marque un tournant dans votre discographie. Comment voyez-vous évoluer votre musique dans le futur ? Un retour aux origines, ou continuer à aller de l’avant…

C’est dur à dire ! Ça reviendrait à se poser trop de questions je pense… Oui, on pourrait prendre un rapporteur et changer l’orientation de 5 degrés à chaque fois qu’on compose, ça serait confortable, mais je préfère ne pas savoir dans quelle direction on va à chaque nouvel album. Chaque disque doit être différent, autant que possible. Il y a des gens qui nous disent pour Once More ‘Round The Sun qu’ils entendent des inspirations de nos premiers albums dedans, tout est donc une question d’interprétation suivant les personnes !

Vous ne savez jamais à quoi va ressembler un album avant de vous mettre à l’écrire ?

Oh non ! Je joue simplement des riffs, ceux qui sont cools on les garde, les autres on les jette ! (rires) On est pas du tout du genre à se dire "mais comment pourrions-nous faire plaisir à nos fans ?" (rires) Ça, ça ne marcherait pas ! Ce qui fait que notre musique plait à beaucoup de monde, c’est parce qu’on fait quelque chose de sincère et de conforme à ce qu’on est, à ce qu’on ressent.

Vous avez récemment tourné avec Gojira, comment ça s’est passé ?

Ce fut un très bon moment ! J’aime beaucoup leur musique, ce sont devenus des potes depuis un bout de temps, on a le même management… Ils sont très bons, c’est simplement dommage pour eux qu’ils soient français... (rires). Je déconne bien sûr ! On trainait beaucoup avec eux et on leur demandait de nous apprendre quelques mots de français.

Des anecdotes à nous raconter à propos de ces frenchies ?

J’en aurais des tonnes ! Mais je n’ai pas le droit de vous en parler... (rires).

Pour finir, Anthrax était initialement prévu à l’affiche de ce soir…

Ah bon ?

Mais apparemment ils n’étaient pas d’accord pour jouer avant Ghost, et ont préféré annulé leur participation pour aller jouer en Angleterre. Tu en penses quoi ?

Oui, je me rappelle de cette histoire ! C’est une situation compliqué. Anthrax est un groupe culte qui existe depuis plus de 30 ans, ils ont connu une période très faste dans les années 80 et début 90 avant de devenir moins populaires. Ça reste un excellent groupe, mais Ghost, va savoir, fait peut-être vendre plus de places. C’est presque de la politique ! Je comprends tout à fait le point de vue d’Anthrax et qu'ils aient préféré aller jouer leur propre concert, mais c’est pareil si l’audience ne suit pas, ça crée un cercle vicieux. Si ça leur convient de faire des petites salles et de garder leur fierté, tant mieux pour eux ! Il y a tellement de groupes qui sont des vendus…

Grum (Août 2014)


Interview préparée et menée par Humtaba, Nonohate et Grum.
Retranscription par Grum.

Remerciements à Karine Sancho pour nous avoir organisé cet entretien.

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