Oiseaux-Tempête par mail, 2014



Question classique, mais est-ce que vous pouvez revenir sur la genèse du projet? Comment vous vous êtes rencontrés et comment est partie l'idée de monter Oiseaux-Tempête?


Frédéric D. Oberland : Tout simplement, via une succession de rencontres et d’envies. Au départ il y eu ces voyages qu'on a entrepris Stéphane C - dont les photographies noir&blanc illustrent l'album - et moi-même, en Grèce, en 2011 et 2012. Un désir commun de travailler sur un objet non-identifié qui pourrait être autant du son que des images, autant un album qu'un possible film-essai expérimental, des installations, des événements, etc. 
Entre deux voyages j'en ai touché un mot à Stéphane Pigneul, avec qui je jouais déjà dans FareWell Poetry et Le Réveil des Tropiques; il s’est direct plongé dedans avec beaucoup d’enthousiasme ; on a rencontré Ben Mc Connell, notre batteur, après un concert dans lequel il officiait aux côtés de Marrissa Nadler; il venait de s'installer à Paris, cherchait des nouvelles personnes avec qui jouer. On a tenté une première répet en impro totale, tous les trois, et il s'est passé quelque chose d'un peu magique. Puis un concert quelques semaines plus tard, et l'envie d'aller enregistrer en studio très vite pour cristalliser tout ça, à Mikrokosm à Lyon, chez notre ami Benoît Bel. 

Stéphane Pigneul: Dés le départ, il y a eu cette magie naturelle. Quelque chose de vrai, de facile et de très inspirant. On s’est laissé aller complètement à l’improvisation, avec une confiance presque mystique. C’est la première fois que l’on pouvait exploiter à trois ce lien que l’on a toujours eu Frédéric et moi. Ben pouvait sentir chaque pulse, anticipait presque toutes les mesures. Un vrai régal. On a créé une bulle de son, de connivence, de partage et on l’est s’est découvert un vrai langage musical commun.

Peut-on voir Oiseaux-Tempête comme un projet principal ou une étape de plus entre les différents groupes que sont Le Réveil Des TropiquesFareWell Poetry ou Beach House?

Frédéric: Oiseaux-Tempête est un groupe à part entière, déblayant un autre chemin de traverse que Le Réveil des Tropiques ou FareWell Poetry. On n'est ni entièrement dans l'improvisation ou la décharge d'énergie du moment, ni dans une écriture à respecter quasi à la lettre. Notre paysage est très libre, instinctif, ça joue avec la tension, les vagues, l'écoute mutuelle, le plaisir, les espaces, les gens, l'instant. 

Stéphane: Pour ma part je dirais que Oiseaux-Tempête est la ligne médiane entre les deux groupes. Il est évident que sans les expériences des deux autres formations nous n’aurions jamais osé se laisser autant aller. C’est une confiance totale, chaque mesure est sentie, un tom, une cymbale, un accord de guitare, une pulse de basse, un sample lancé. On réagit en permanence. C‘est pourquoi nos morceaux, tout en restant souvent reconnaissables, sont toujours joués de manière très différente à chaque concert. C’est cette confiance qui permet à nos influences de voguer  elles fluent et refluent  sans jugement . Nous n’avons pas peur de laisser s’échapper une ambiance free jazz, noise, ambient ou même presque métal parfois. C’est assez dingue en fait.

La crise politique et économique que traverse la Grèce actuellement semble intimement liée à cette œuvre. Pouvez-vous revenir sur ces choix qui vous ont motivé lors de la création? Est-ce son concept principal ou bien d'autres lignes directrices ou thématiques fortes unissent cet album?

Frédéric: C’était le point de départ de nos voyages initiaux, puis la toile de fond de ce premier disque, complètement. Partir de la Grèce pour évoquer plus largement l’Europe, et tenter de relier les crises à l’oeuvre là-bas –crises économique,, politique sociale, mais aussi crise de la pensée- à ce qu’on expérimente ici nous-mêmes: cette colère grondante face à un système néo-libéral à la dérive qui oppresse de plus en plus les individus et les séparent dans la consommation ou la pauvreté, la montée des intolérances, la tentation du repli sur soi… On avait envie de témoigner et de poser des questions à notre niveau et avec nos moyens, simplement, avec des sons, de la musique, des images, d’une manière sans doute plus poétique et sensitive que dans un discours tout établi, préfabriqué. Et faire un chouette disque de musique avec tout ça, en y incorporant de la lumière. De son côté, Stéphane C. a également commencé à donner forme aux images hi8 qu’il a tourné là-bas, notamment via l’installation The Divided Line dont nous avons composé la bande originale.

Stéphane: Il faut se remettre dans le contexte je pense.
En 2012, la Grèce était vraiment dans les choux, toute cette montée néofasciste, la peur des dégradations de notes, la France, l’Italie perdaient aussi leur AAA. On vivait dans une étrange peur latente. Ce qui se passait en Grèce pouvait nous tomber dessus aussi. Il se trouve que la Grèce cristallisait à elle seule l’angoisse d’une Europe à l’abandon, régulée par les actionnaires et des levées de sommes ahurissantes. Les banques, l’affaire Kerviel, les PME en faillite; tout ça faisait la une des journaux. Alors oui, on s’est servi de l’exemple grec, mais si tu as un minimum de conscience politique, tout cela foutait vraiment les chocottes. Voilà pourquoi le disque peut paraître assez sombre, même si l’on voulait y ajouter une note d’espoir, de lumière.

J'ai cru comprendre qu'il y avait une bonne part d'improvisation pour l'album, mais étonnamment l'ensemble sonne très structuré, très travaillé. Vous pouvez revenir sur sa conception?

Frédéric: L’improvisation est notre base avec Oiseaux-Tempête, toujours. On enregistre en conditions live, tous les trois dans la même pièce, en limitant les overdubs au (très) strict minimum, le tout dans un timing tendu, resserré. Cette urgence-là est une dominante du projet, au niveau du fond – on vient d’en parler- et du coup aussi au niveau de la forme. Quand nous sommes arrivés en studio pour faire ce premier album, nous avions quelques idées de thèmes pré-existants, mais rien de délimité, d’écrit, le champs était libre. On s’est laissé aller. Stephane C. nous a rejoint en studio et nous projetait parfois des rushes video hi8 et des photos qu’il avait capté en Grèce. On s’est (re)connecté à son travail, et ça nous a inspiré. Une fois rentrés à la maison, on a tout dérushé et inclus certains  enregistrements, fields recordings et interviews, que Stéphane C. et moi avions pris en Grèce, dans une perspective narrative, en essayant de relier le tout et de rester fidèle au geste initial. 

Stéphane: Je crois me souvenir que Buy Gold et Opening Theme avaient déjà des bases. On avait improvisé et structuré en direct live le premier morceau du disque lors du premier concert du groupe. On n’avait même pas encore de nom ! En studio, nous avons reproduit ce processus. Régler les instruments, se sentir bien dans notre bulle sonore, improviser et enregistrer tout de suite. Nous avons joué pendant trois jours avec environ 17h de musique à la clé. Certains des titres n’ont quasiment pas été coupés, alors que d’autres jams de 17 minutes se sont rétrécis à 4 ou 5 minutes.



Dans les chroniques, j'ai lu plusieurs fois le terme Post-Rock, utilisé sans doute par facilité et j'avoue que ça m'arrange aussi... Ca vous emmerde d'être accolé à cette étiquette? Vous en écoutez quand même?

Frédéric: Franchement les étiquettes c’est bon pour feu la Fnac - bon vent les supermarchés de la culture - et les feignasses. Je serais bien incapable de dire ce à quoi Oiseaux-Tempête ressemble ou non. On fait sans doute du Rock, surtout instrumental, très libre, avec des mélodies simples, et parfois beaucoup de bruit…. 

Stéphane: J’ai acheté mon premier disque de Hint chez Waves à Paris, rangé dans…Post-Rock! A l’époque toute cette scène s’appelait déjà Post-Rock français, les BastärdUlan BatorHint. Bien avant Mogwai et consorts. De ce point de vue là, ça ne me dérange pas plus que ça.

Nuage Noir et sa beauté crépusculaire est sans doute ma piste préférée de l'album. De quoi parle le sample en ouverture? De manière plus générale, de quoi traitent les dialogues inclus dans certains titres? Ont-ils toujours une dimension politique?

Frédéric: Il s’agit, plus que de samples, de sons qu’on a pris en Grèce Stéphane C et moi: des ambiances, des field-recordings, des interviews. Dans l’instant, à l’arrache comme on prend une photo. Des bruits de ville, de manifestations, de processions, des sons du quotidien, des confessions personnelles ou publiques.... On les a taillé lors du montage du disque, en essayant d’aller en chercher l’essence, et en les incorporant à nos sessions musicales. On avait envie dès le début de construire l’album dans une perspective clairement cinématographique, qu’à l’écoute l’auditeur puisse voyager de lieu en lieu, de territoire en territoire, plus encore que de morceau en morceau. Avec une sorte de narration implicite, un début, un milieu, une fin, comme à Hollywood (sic). Pour l’extrait de Nuage Noir que tu évoques il s’agit d’une surimpression de différents sons, on y entend la ville, un petit clavier, un train, un bateau, des migrants qui s’affairent à aller pêcher ; il y est question, en peu de mots, de l’Europe qui s’effondre, du manque d’argent, d’avenir, d’élections, d’un gouvernement incompétent, et que si on réfléchit un peu y a peut-être moyen d’arriver à s’en sortir plus tard… 

Stéphane:  Un des dialogues recueilli et incorporé au disque suggéré que nous ne pouvons nous en sortir qu’ensemble, à plusieurs. C’est aussi vrai en politique qu’en musique. Nous avons besoin des autres pour être meilleurs. Cet adage même s’il semble trivial, nous a beaucoup marqué à cause de son contexte. Il parcourt le disque et continue d’influer sur notre travail. 

Pour bifurquer sur Re-Works, comment vous est venue cette idée d'album remix? Et comment ont été choisis les différents collaborateurs?

Frédéric: L’idée de cet album de remixes était en germe avant même la sortie officielle du disque original. En bons enfants des années 90 on a été bercé par cette mode old-school des disques de remixes, et on avait envie de s’y coller aussi. On n’a pas réfléchi très longtemps et on a envoyé des bouteilles dans la mer numérique, à des potes (Colin JohncoSaaadWitxesCyril Secq&Richard KnoxLeopard Of Honour), à des musiciens croisés sur la route (Dag RosenqvistMay RooseveltMachinefabriek), ou à des gens dont on admirait juste le boulot sans pour autant les connaître personnellement (Do Make Say ThinkScannerAun). Sans aucunes barrières de style, d’approches, etc. Et sans argent à la clef. 

Stéphane: Presque tout le monde a répondu à l’appel. On a été électrisé par la version de Scanner, la première reçue. C’était de bon augure, puisque toutes celles qui ont suivis étaient de la même trempe.

J'ai été étonné à l'écoute de ce Re-Works car il garde une grande cohérence par rapport à l'album. D'ailleurs, vous vous attendiez à ce que l'album remix sonne ainsi et expérimente d'avantage vers l'ambient et les musiques électroniques? Avez-vous fourni une sorte de feuille de route aux personnes qui ont travaillé sur ces nouvelles créations?

Frédéric: Le premier re-work qu’on a reçu était effectivement celui de Scanner et ça nous a mis un bon taquet, tout en nous confortant dans l’idée que si le reste était à la hauteur, on allait peut-être pouvoir faire un disque avec tout ça. C’était évidemment le but caché de l’entreprise. Et on n’a pas été déçu. C’est assez génial ce sentiment de redécouvrir ta musique ré-interprété / ré-expérimenté / déconstruite par d’autres musiciens. La règle de départ était simple: on donnait la possibilité aux remixeurs d’écouter l’intégralité de l’album, il choisissait deux potentiels morceaux qu’ils aimeraient retravailler, et on leur donnait le feu vert sur un. A l’arrivée tout les remixeurs y ont mis du cœur, Sub Rosa nous a proposé de nous accompagner pour la sortie du vinyle, les copains des Balades Sonores de nous épauler, et on est super fier du résultat, une vraie relecture sensible de notre premier album!

Stéphane: En choisissant les remixeurs on savait quand même plus ou moins déjà quelle direction ils allaient prendre. Ils ne devaient pas dépasser 6 minutes. C’était la seule règle. Ils étaient libres de tout le reste. Avoir la liberté totale  dans un carré prédéfini te pousse à donner le meilleur de toi même. Tu restes fidèle sans risque de te perdre.

Et sinon, la pochette, c'est un hommage à Godspeed You! Black Emperor? Le visuel est magnifique, d’où vient ce cliché? L'intérieur du LP ses compose aussi de clichés ramenés de Grèce?

Frédéric: Ahahahahahah, raté! Il s’agit d’une photo prise de nuit à Athènes, pendant nos voyages. Un immeuble du quartier de Omonia, sur lequel sont peintes des mains jointes, en prière. Ces mains sont celles d’Albrecht Dürer mais au lieu de pointer vers le haut, elles pointent vers le sol. Les intérieurs de la version double vinyle et de la version CD sont effectivement illustrés d’autres très belles photos argentiques de Stéphane C. toutes prises en Grèce. 

Stéphane : Dès qu’on a vu cette photo de Stéphane C. on a su que c’était LA pochette. Elle est très forte, évocatrice, inspirante, attirante, et d’un certain point de vue un peu inquiétante. 

J'imagine que vous avez chacun vos références et vos influences pour Oiseaux-Tempête, mais est-ce qu'il y a des groupes sur lesquels vous vous accordez tous les trois? Pêchés mignons inclus.

Frédéric: le début des Pink Floyd, le milieu d’Einstürzende Neubauten, la fin des Swans, feu Set Fire To Flames?

Stéphane: Bastärd, The Velvet Underground, The Doors, The Cure.

Etes-vous allé voir la reformation de Slint début juin à la Gaité Lyrique? Je vous laisse le dernier mot pour annoncer de futurs projets, les prochaines dates de concert ou ce que vous voulez en fait. Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces questions!

Frédéric: Yes, j’y étais et je me suis pris une jolie claque. Particulièrement apprécié le côté ascétique et recueilli du show, l’intensité progressive, et comme c’était une première pour moi de voir Slint en concert, un gros pincement au cœur à l’écoute de Good Morning Captain. Pour le reste, Oiseaux-Tempête fera la première partie de Earth au Point Ephémère le 09 août prochain, et on prépare une création avec le cinéaste expérimental Karel Doing pour le festival Crak fin septembre dans l’église Saint-Merry à Paris. 

Stéphane: Et aussi -surtout- on termine notre deuxième opus enregistré il y a quelques mois au studio Mikrokosm toujours, avec Gareth Davis à la clarinette basse. On en est justement à la troisième étape, celle de l’édit, des choix, du montage…

Pentacle (Juillet 2014)

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