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Interview Blut Aus Nord par mail (Novembre 2006)
Blut Aus Nord aurait plutôt tendance à être un combo des plus mystérieux depuis ses débuts. Pourtant derrière ce flou nécessaire à l'image qu'il véhicule, le groupe a le mérite de proposer une démarche plus que réfléchie, intelligente et précise. La Sortie du nouvel album MoRT, que, vous le savez, nous avons beaucoup aimé chez metalorgie, est donc une occasion supplémentaire d'en savoir un peu plus sur Vindsval et sa bande. Voilà donc quelques questions posées par mail (anonymat oblige) directement au frontman, qui, vous le verrez, ne manque pas pour autant de charisme.
Je suis très fier du travail accompli, aucun album n’est à jeter, tous sont différents et nous ont permis d’avancer, d’ouvrir de nouvelles voies qui nous permettent aujourd’hui de ne jamais être à cours d’inspiration. Ultima Thulee par exemple est un album qui pourra être un point de départ pour de futurs travaux, même chose pour Memoria Vetusta qui attend sa suite (voire ses suites..) depuis de nombreuses années maintenant. Quand je regarde dans le rétroviseur je ne vois pas d’aboutissement mais des œuvres qui en appellent d’autres, je vois surtout qu’il nous reste encore énormément de travail à accomplir pour terminer ce que nous avons commencé, j’espère d’ailleurs ne jamais avoir à considérer que nous avons terminé.
Dire « le Black Metal devrait être comme ça » est une chose inconcevable. Fallen Angel Of Doom (Blasphemy) , A Blaze In The Northen Sky (Darkthrone), Hammerheart ou Blood Fire Death (Bathory), In The Nightside Eclipse (Emperor), Hvis Lyset Tar Oss (Burzum), Drawing Down The Moon (Beherit), etc… sont tous très différents musicalement et sont pourtant toutes des oeuvres de Black Metal, fondatrices pour la plupart, parce qu’elles baignent dans ce feeling unique. A mes yeux il ne s’agit pas d’une histoire de riffs trop facilement identifiables, de son ou d’image mais d’un feeling insaisissable. The Mystical Beast Of Rebellion , notre album se rapprochant le plus de ce que l’on pourrait appeler le "Black Metal originel" n’est pas un album difficile à composer, je peux en composer 3 par mois mais y injecter ce feeling particulier est une toute autre histoire, c’est quelque chose qui ne s’invente pas, qui ne se copie pas. Beaucoup d’albums sortent et proposent le package complet mais ne possèdent pas cette âme malgré les « riffs parfaitement Black Metal » qu’ils renferment, je ne veux jamais pouvoir identifier cette musique aussi facilement, elle doit se ressentir et pouvoir se terrer là où on ne l’attend pas, c’est là que réside sa véritable subversion. Depuis un bon moment, mais surtout de plus en plus ces dernières années, le terme de « post black-metal » est récurent pour désigner les projets qui parcourent et déforment le fond du style, en explosant et caricaturant ses structures, en ajoutant diverses influences et en faisant preuve d’une grande recherche. Je trouve (et je ne suis pas le seul) évidemment que Blut Aus Nord rentre parfaitement dans cette catégorie. En ne gardant que le meilleur et en se gardant bien de taper dans toute forme de clichés ou d’éloignements idéologiques douteux, BAN colle à cette vision. Finalement, c’est exactement ce que tu essaies de faire depuis le début j’ai l’impression? Comment y es-tu venu à l’époque ? Quelle est ta vision de cette scène au jour d’aujourd’hui? Te semble-t-elle plus « pure » que celle du black-metal plus formaté ? Si nous devions nous poser autant de questions sur notre positionnement exact au sein, ou non d’ailleurs, de la scene Black Metal nous en serions encore à nous demander s’il est réellement judicieux d’inclure telle ou telle partie à Ultima Thulee. Je ne sais pas si des groupes travaillent de la sorte, mais si tel est le cas je les plains sincèrement, devoir composer en ayant un cahier des charges à suivre revient à faire de la musique sur commande. Ce que tu appelles le post Black Metal n’est que le travail de groupe qui souhaitent aller de l’avant parce qu’ils n’ont pas envie/besoin de recopier le travail de leur prédécesseurs, Emperor en son temps fût un groupe de Post Black Metal, Morbid Angel, Atheist, Cynic, des groupes de post Death Metal, etc, etc… L’histoire de la musique s’écrit grâce aux artistes qui font avancer les choses et ce dans tous les styles. De qui se souvient-on ? De Miles Davis, d’Herbie Hancock, d’Iron Maiden, de Carcass, de Napalm Death, de Django Reinhart ou des milliers de suiveurs que ces Créateurs ont « motivé » ? Quels sont les albums essentiels ? Les premiers Morbid Angel ou ceux de Diabolic ? Ceux de Carcass ou ceux d’Impaled ? Mon choix est vite fait et se porte évidement sur l’original, la copie ne sert à rien. La scène black expérimentale française est une des plus actives et créatrices du monde et Blut Aus Nord en est d’ailleurs l’un des fleurons. Quel effet cela te fait-il ? Comment expliques-tu le contraste entre cela et le fait que la France soit l’un des pays d’Europe où le metal et les musiques extrêmes sont les moins populaires ? As-tu conscience qu’avec le temps, le public de Blut Aus Nord n’est plus nécessairement constitué d’aficionados de black, mais qu’il est très diversifié, plein de « nerds », et surtout qu’il est constitué de gens qui avant d’aimer le black, adhèrent à votre démarche de musique abstraite et intelligente ? Je suis conscient du fait que le public de Blut Aus Nord est constitué de gens qui apprécient notre travail, devrions nous avoir une démarche élitiste voire sectaire et interdire l’entrée ?? Si tu veux contrôler ton auditoire, reste dans ton garage et joue pour toi, dès que tu diffuses ton travail, même à très petite échelle, n’importe qui peut y avoir accès. Je me fous de savoir quels autres groupes un mec qui aime BAN peut écouter. Le fait qu’il soit fan de Marduk, ou de Mayhem ne me rassure absolument pas. Nous voulions aller au bout d’un aspect de The Work Which Transfoms God, au bout de cette musique rampante, fouiller dans les micro-intervalles que nous avions commencé à travailler sur quelques précédents morceaux et en finir avec ça. Peux-tu nous en dire plus sur le processus de composition puis d’enregistrement, et en quoi celui-ci a-t-il évolué avec MoRT ? Tout s’est fait à partir des guitares que nous souhaitions décharnées, il a alors fallu oublier totalement le médiator pour limiter l’agressivité de l’attaque et finalement utiliser la guitare comme un piano (il ne s’agit pas non plus de tapping) avec huit doigts sur la manche pour obtenir les même variations sur les différentes parties jouées simultanément par chacune des deux mains, nous avons d’ailleurs commencé à travailler avec une touch guitar pour optimiser ces techniques. Cela ouvre énormément de possibilités sur le plan harmonique et quand tu supprimes les frettes de ton instrument tu multiplies encore ces possibilités. Le processus de composition a donc été très long mais surtout passionnant. Revenons à ta question, l’enregistrement donc, quand a lui, s’est déroulé comme d’habitude, étalé sur plusieurs mois dans notre studio. Nous ne pourrions pas enregistrer ailleurs ni avec quelqu’un d’autre, il nous faut absolument tout maîtriser à chaque instant et nous avons une idée trop précise de ce que nous voulons, de ce dont nous avons besoin pour laisser quelqu’un d’extérieur s’immiscer dans la mécanique. Une nouvelle fois, vous avez créé un disque qui engloutit véritablement l’auditeur de bout en bout dans une équipée très crasseuse. Cependant, contrairement à The Mystical Beast Of Rebellion ou The Work Which Transforms God, MoRT est un disque moins éprouvant et massif, plutôt très dense, mais plus rampant et vicieux sans pour autant dégager une impression de puissance comme vous le faisiez auparavant, vous aviez envie de vous éloigner encore un peu plus du black ? Nous voulions simplement sortir un album véritablement sombre, poisseux et rampant. Insufler plus d’énergie à MoRT lui aurait donné un peu de vie et c’est que nous voulions éviter. Nous ne nous positionnons pas par rapport au Black Metal quand nous composons pour BAN, nous composons de la musique sans nous soucier de savoir à quelle catégorie elle appartient. Quand je vois aujourd’hui des « débats » concernant MoRT au cours desquels certains ne se posent qu’une question « est-ce encore du Black Metal ? » je trouve ça terriblement pathétique, il faudra bientôt leur sortir des albums sur lesquels seront inscrits une liste d’ingrédients musicaux qui les rassurera quand à la teneur Black Metallique du produit. Darkthrone avait compris ça avec leur cultissime « true norvegian black metal », au moins notre consommateur de metal noir était rassuré et n’avait aucune question à se poser en écoutant son disque. Personnellement, je vois implicitement dans MoRT un prolongement de ce qui avait été recherché sur le titre Level-1 (Nothing Is) (sur Thematic Emanation of Archetypal Multiplicity) de manière plus homogène, et je vois aussi surtout une grosse ouverture vers des sonorités plus Death Metal (ces guitares vraiment grinçantes, le growl très grave), en es-tu conscient ? Pas du tout, comme quoi nous n’avons absolument aucun contrôle sur la perception que peuvent avoir les gens de notre musique…heureusement d’ailleurs. Dis nous-en un peu plus sur le concept de MoRt et sur la manière dont tu as exploré cette thématique terrifiante, quelle relation entretient-il avec ce fameux dernier voyage ? J’ai lu que MoRT désigne en fait des initiales qui signifient « Metamorphosis of Realistic Theories », tu peux expliciter la chose ? MoRT représente une limite qui aboutit à l’absence totale de limites si ton esprit peut l’imaginer, c’est comme cela que ce mot seul nous a permis d’accoucher de l’albums qui joue avec les limites que les lois de l’harmonie, et de la musique dans son ensemble, semblent vouloir t’imposer alors qu’elles permettent d’ouvrir une infinité de portes dérobées. La théorie musicale t’enferme, ou plutôt semble t’enfermer, dans des schémas apparemment incontournables. Il y a quelques siècles certains accords étaient appelés « accords du diable » et ne devaient pas être utilisés, Beethoven est allé au-delà de ces limites et a malgré tout travaillé en utilisant cette musique interdite, cela lui a permis de composer une oeuvre qui a traversé les siècles. C’est exactement ce qu’est MoRT, la limite, la fin et la peur d’où naissent une infinité de possibilité. Spektr, un duo assez similaire à ce qu’est Blut Aus Nord dans le concept, a exploré avec brio le concept de NDE cette année, qui rejoint de très près celui de la mort. J’imagine que vous ne vous êtes pas donnés le mot, mais de ce que tu as pu écouter et comprendre de leur album, en quoi le nouvel opus de BAN est-il différent ? Un travail graphique comme la vidéo qui accompagne leur disque te tenterait-il ? J’ai évidemment écouté leurs albums puisqu’ils sont sortis sur mon label Appease Me… via Candlelight. C’est un projet passionnant, extrêmement ambitieux qui va lui aussi très rapidement dépasser le cadre dans lequel certains voudraient enfermer le Black Metal. Dernière question, avec BAN, tout ce que tu fais est tellement mystérieux qu’on a parfois du mal à voir où vous allez, et vos deux dernières sorties le prouvent, le sais-tu vraiment toi-même ? Ahah oui ne t’inquiète pas, tout est sous contrôle, il y a encore énormément de travail mais nous savons exactement où nous allons. Voilà, merci beaucoup pour ta patience et d’avoir répondu à toutes ces questions, le mot de la fin t’appartient. Merci pour le temps que tu as accordé à MoRT, c’est ce que les auditeurs peuvent nous offrir de mieux..
manulerider (Novembre 2006)
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