Colin H van Eeckhout (Amenra) (Motocultor, Saint-Nolff, août 2016)

 "Dans la vie, il faut faire des sacrifices pour faire le bien."

Depuis la formation du groupe, Amenra est une véritable catharsis pour Colin H van Eeckhout, chanteur de la formation. S'étant pendant longtemps concentré sur la puissance de la musique amplifiée, le groupe s'est depuis quelques temps intéressé à l'acoustique avec la sortie d'un album live en ce sens. Nous sommes revenus sur cette nouvelle orientation avec lui, qui parle sans hésiter de ses incertitudes et ses démons intérieurs.



Artwork par Førtifem.

Vous êtes actuellement en train de travailler sur deux albums : un électrique et un acoustique. Est-ce que votre approche de composition en acoustique est différente de celle pour l'électrique ?

Oui, parce qu'avec l'acoustique, on ne peut pas vraiment se perdre dans la musique comme on le fait en électrique. C'est une autre façon de travailler. Amenra lourd, c'est un espèce de moment qu'on cherche dans la musique, où on la surpasse un peu. En acoustique, on ne peut pas vraiment faire ça. Il y a aussi une différence émotionnelle, on y aborde des sentiments qui ne sont pas les mêmes. En électrique, c'est un manque d'espoir, une fragilité qui se jette sur la douleur. C'est aussi une frustration, tu t'adresses à quelqu'un que tu ne connais pas, que tu ne peux pas voir ni toucher, et tu expulses tout ce qui doit partir de toi. En acoustique, c'est aussi très fragile, mais sous un autre angle. Là, tu te mets à nu, et on s'y adresse à nos enfants. C'est une sorte de biographie... C'est étrange, c'est comme une lettre qu'on leur écrirait en fait.

Vous allez donc continuer sur ce concept de dialogue avec votre descendance ?

On ne travaille pas vraiment avec des concepts prédéterminés, à se dire "hop, ça va être comme ça". En ce moment, je suis très occupé avec ce projet, et il y a certaines similitudes. C'est toujours une contemplation de ce que se passe dans ma vie, dans nos vies. C'est très linéaire, parce qu'on a le même style de vie, on a eu des trajets très similaires dans la vie. Nous verrons bien où ça nous mène.

Peux-tu décrire plus précisément votre processus d'écriture en acoustique et électrique ?

Au début d'Amenra, on écrivait tous ensemble en jammant, on commençait avec rien. Maintenant c'est différent, notamment parce que certains d'entre nous ont des enfants. Il y en a sept en tout dans Amenra alors l'agenda est plus difficile à gérer. Les guitaristes travaillent chez eux, on échange par internet, et ça nous permet de commencer à y réfléchir. Moi-même, je joue un peu de guitare, mais pas dans Amenra. Et on a aussi Levy qui écrit maintenant avec nous, il n'était pas là sur Mass V. J'ai beaucoup contribué à la basse sur cet album, avec Maarten qui était encore dans le groupe à l'époque. On a écrit l'album à cinq, avec nous deux à la basse. Maintenant c'est Levy qui se charge de ça, mais c'est aussi un très bon guitariste donc il aide beaucoup. Il est vraiment plus jeune que nous, qui avons déjà écrit quelques albums dans notre vie. Ca devient de plus en plus difficile pour nous de trouver de nouvelles choses, de se réinventer, surtout que nous n'avons plus autant de temps qu'avant. C'est très intéressant, parce que chaque album d'Amenra se fait avec un nouveau, ça instaure une nouvelle dynamique à chaque fois.

Avez-vous déjà en tête une direction pour les deux albums, sachant que vous travaillez sur les deux en même temps ?

En ce moment, on est concentrés sur Mass VI. Quand Lennart ou Levy vont être en tournée avec leurs autres groupes (Wiegedood et Oathbreaker), on se mettra à l'acoustique. On saute de l'un à l'autre comme ça.


De part votre travail sur les concerts acoustiques, mais aussi ton album solo, tu as beaucoup utilisé ton chant clair dernièrement. Comment as-tu appréhendé ça et est-ce que ça t'a demandé beaucoup de travail ?

Oui, mais on ne se sent jamais vraiment à l'aise quand on est pas super sûr de soi... Mais ça va, c'est beaucoup moins fatiguant pour nous, même si on est aussi plus nerveux puisque l'acoustique nous sort de notre zone de confort. Là, on a moins de matos, pas besoin de traîner une remorque avec les baffles et tout. Et nos corps ne sont pas cassés comme après une tournée en électrique.

Mais du coup, par rapport au chant clair ?

Je n'ai pas vraiment eu besoin de beaucoup le travailler. Ca vient instinctivement. C'est intéressant de faire autre chose, et surtout d'essayer de nouvelles choses !

Vous avez fait une cover de "Parabol" de Tool sur Alive. Pourquoi ce groupe et cette chanson en particulier ?

Lateralus est sorti en 2001, soit l'année où mon père est décédé. Et j'avais l'impression que "Parabol" avait été écrite pour moi. C'est arrivé plusieurs fois dans ma vie avec Tool. Par exemple pour Aenima, c'était ma tante. Je ne me souviens pas du titre, mais il y a une chanson qui dit "Eleven is when we waved goodbye". [NDLR : "Jimmy"]
J'aime bien penser que c'est comme ça. Mon père est décédé dans mes bras chez moi, et Maynard chante "this body holding me [...] pain is an illusion". C'est comme si les textes décrivaient ce moment, et c'était très important pour moi. C'est vraiment bien qu'on puisse jouer cette chanson.

Il y a une citation du film The Mirror d'Andrei Tarkovski dans un de vos livres. Est-ce que ce réalisateur vous a influencé au niveau esthétique ?

Oui, énormément. Il fut un temps où on utilisait des extraits de ses films pour nos visuels en concert, et pas seulement The Mirror. C'est vraiment quelqu'un qui est parvenu à créer son propre monde, c'est très intéressant et surtout très beau. Parfois, tu es confronté à des artistes auxquels tu te sens lié. Tu trouves qu'ils font la même chose que toi, mais d'une autre manière, et c'est vraiment ce qu'on ressent avec lui.

Sur ton album solo, tu as utilisé une vielle à roue. Est-ce que tu penses que l'instrument pourrait être utilisé avec Amenra dans le futur ?

On l'avait initialement acheté pour l'utiliser dans Amenra, mais ça ne s'est jamais vraiment concrétisé. J'ai pas mal expérimenté avec cet instrument, et c'est comme ça que j'ai écrit le morceau de Rasa.

Penses-tu que vous allez continuer les collaborations avec des membres de la Church of Ra sur vos prochaines sorties ?

On ne sait jamais. Ca se décide un peu au dernier moment. Si on le sent, oui, et si on ne le sent pas, non.


Avez-vous déjà envisagé de transformer la Church of Ra en label ?

C'est pas le but, même si on pourrait le faire. Mais je veux pas diminuer la Church of Ra à quelque chose de mercantile, mais surtout que ça ne devienne qu'un sceau d'approbation. C'est pas censé être une distinction. De fait, c'est déjà un peu le cas, mais franchement je ne sais même pas s'il y a d'autres groupes qui vont l'intégrer. On est pas du tout dans une démarche d'intégrer plus de groupes et de grandir. C'est plus un collectif qui se constitue au fil des rencontres. De plus, ce sont tous des gens qui habitent près de chez nous, on se parle, on se connaît vraiment, on sait quel être humain on a face à soi et on sait comment il pense. Et ça, tu ne l'as pas quand tu signes un groupe de je ne sais quel pays. C'est difficile de se connaître comme ça, et c'est un aspect important de la Church of Ra. Ce n'est pas juste apprécier la musique d'un groupe, ça dépend aussi de qui la fait.

Tu as fait des performances de suspension dans le passé, mais tu as aussi invité des artistes comme Little Swastika à le faire sur scène. Comment tu en es arrivé à faire ce genre de choses ?

Pour moi, c'était logique. J'étais intéressé par les suspensions et les modifications corporelles depuis mes quatorze ans. C'était difficile de trouver d'autres personnes intéressées par ces choses avant, car il n'y avait pas internet. Fallait partir dans l'Europe et chercher. Ma rencontre avec The Truth Seekers Syndicate en Hollande m'a ouvert les yeux et m'a aussi donné de l'inspiration pour Amenra. Tout est lié pour moi. C'est l'idée du sacrifice. Dans la vie, il faut faire des sacrifices pour faire le bien. C'est aussi pour faire un lien entre le mental et le physique, c'est vraiment intéressant. Je faisais des suspensions déjà avant, et je savais que j'allais le faire sur scène un jour ou l'autre. Finalement c'est arrivé en 2009.

Et pourquoi associer ça avec la musique ?

Parce que c'est la même chose pour moi. Ca travaille avec le même élément : la douleur, faire des sacrifices, se surpasser, faire des choses que tu pensais ne jamais pouvoir faire.

Au Roadburn, vous partagiez l'affiche avec Neurosis. Pourquoi est-ce que Scott Kelly n'est pas monté sur scène chanter "Nowena 9.10" avec vous ? Vous l'aviez déjà fait pourtant.

On lui a demandé. Mais je comprends et respecte sa décision. Moi je ne voulais pas lui demander, parce que je sais que si un groupe me demandait de faire un chant guest, avant que je doive jouer avec mon propre groupe, je serais réticent. Le premier pas que tu fais sur une scène, ça doit être pour faire ta musique. C'est bizarre, je ne peux pas l'expliquer avec des mots. Il l'a fait une fois en Belgique, mais cette fois il ne devait pas jouer avec Neurosis. Il avait son set acoustique et c'est totalement différent.

Avez-vous demandé pour le soir du Motocultor ?

Non. Mais après tu sais, dans la plupart des cas, ce genre de choses se décide au dernier moment, parce qu'on sent que ça doit se passer, maintenant. Et parfois on le le sent pas.  Pour tout te dire, je n'avais même pas pensé à lui demander ce soir-là. Désolé, je sais que vous voudriez voir ça, mais on ne veut rien forcer.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

Moi ? Presque rien ! [soupir] Ah si, j’ai écouté Skuggsjá, le projet commun entre les gars d’Enslaved et de Wardruna. Mais c’est pas que je trouve ça excellent non plus, c’est pas mauvais, mais c’est pas bon non plus. Le vieux Metallica aussi ! [sourire] J’écoute aussi un peu de musique de films, je cherche des BO avec de la vielle à roue. Il y a The Witch par Mark Korven, et aussi The Road de Nick Cave et Warren Ellis.

Vous faites beaucoup de merchandising. Est-ce que parfois, tu n’as pas peur que tout ça détourne votre public de ce qui compte le plus : votre musique ?

Sans doute quelques-uns, oui... En fait, c’est grâce à ça qu’on peut continuer, notamment pour payer l’enregistrement. C’est très cher. Surtout que nous, quand on enregistre, on le fait en trois fois, au lieu d’une normalement, et ça coûte cher. En plus, on a diminué les concerts alors ça nous aide à remplir les trous. C’est pour ça qu’on essaye d’avoir toujours toute notre musique avec nous. Normalement, un groupe en tournée vend le dernier album et des t-shirts. Je trouve ça bizarre. Nous, on veut toujours avoir tout. Au Roadburn, c’était fou, on avait vraiment pris tout ce qu’on avait !

Est-ce que tu es déjà en train de travailler sur un prochain album solo ?

Là, j’ai un album live qui vient de sortir. Parce qu’en fait, mon premier album est un vrai album studio, avec beaucoup de travail de post-production. Mais je voulais aussi avoir quelque chose qui ressemble à ce que je fais en concert. C’est Aaron, le batteur d’Isis qu’il a fait, et c’est chouette d’avoir ça aussi, de pouvoir documenter. Il  y a Mathieu qui sort un nouvel album avec Syndrome, Lennart qui sort un album avec Oathbreaker. Il se passe beaucoup de choses en ce moment, on a aussi d’autres projets en cours avec Amenra. Ca va arriver.

Neredude (Septembre 2016)

Cette interview est le fruit du travail collégial de l'équipe Metalorgie.

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