Frédéric Gervais (Orakle) Hellfest 2015, le 19/06/2015

Le Hellfest est aussi l'occasion de rencontrer des groupes qui ne sont pas programmés (à notre grand regret) à l'affiche du festival. Après 6:33 en 2013, place à Orakle en 2015. Frédéric Gervais (chant/basse) avait fait le déplacement jusqu'à Clisson pour nous parler de son dernier bébé, Éclats (dont vous pouvez lire la chronique ici).

Sept années séparent Éclats de Tourments et Perdition, avez-vous pensé à un moment que l’aventure s’arrêterait pour Orakle ?

Pas du tout ! On a perdu un guitariste en 2010, parce qu’il s’est détaché du Metal en général, et il ne se sentait pas de poursuivre. De notre côté, on a aussi connu quelques moments de découragement, mais malgré tout le projet a toujours avancé, même si ça a parfois été laborieux. Ces sept ans représentent beaucoup. Déjà le fait d’être un groupe amateur, pour moi qui compose en grande partie, en ayant un taf de 8h à 20h, ça ne te laisse pas beaucoup de temps. J’ai aussi eu une petite fille en 2013, donc je te laisse imaginer (rires). C’est tout un tas de petites choses comme ça qui font que la musique qu’on fait, au final, nécessite beaucoup d’attention et d’investissement, même en tant qu’auditeur. On expérimente, on écrit les morceaux un peu comme une histoire, on développe, on voit où ça nous mène... Ça demande donc beaucoup de temps. Et encore, on a commencé l’enregistrement en mai 2012 ! Les structures des morceaux étaient prêtes, on a commencé par faire la batterie, on avait un line-up réduit, du coup je me suis pas mal occupé des guitares, j’avais rien fait au niveau de la basse, ni du chant et des textes. Tout s’est fait progressivement, par strates !

Est-ce que certains membres du groupes arrivent à vivre de la musique ?

Etienne et Antoine sont tous les deux profs de guitare. Antoine est arrivé en 2013 donc il n’a pas participé à la composition de l’album. Etienne n’est pas quelqu'un qui aime composer, et paradoxalement c’est moi, qui avait mon taf à côté et le moins de temps disponible, qui devait composer. Du coup j’ai ouvert un studio d’enregistrement, là où j’ai produit tout l’album, et l’année dernière j’ai décidé d’arrêter mon taf et de ne me consacrer qu’à ça ! Ce qui me laisse maintenant plus de temps pour travailler sur ma musique.

C’est donc toi qui a apporté toutes les idées pour Éclats ?

On n’était que trois aux répétitions, Pierre à la batterie, Etienne à la guitare et moi. Du coup oui, c’est moi qui arrivait avec un riff ou une série de riffs, je notais tout sur des bloc-notes. Ensuite les décisions de construction de morceaux se font principalement avec Pierre, qui gère sa partie de batterie, et on forge les morceaux ensemble pendant les répétitions. J’aime bien travailler de manière isolée, pour être dans ma bulle, en ce qui concerne la matière première. Après en répétition, au moment d’enregistrer nos avancées, nous n’avions vraiment pas l’impression d’être un groupe au complet, je jouais la deuxième guitare, il n’y avait donc pas de basse, ni de chant puisque je n’avais pas encore bossé les paroles. C’était très sommaire.

Comment se fait-il que l’enregistrement se soit étalé sur autant de temps ?

On a eu l’envie d’enregistrer dès que les structures des morceaux étaient prêtes, et c’était peut-être un moyen d’éviter de perdre la motivation. Ça permettait de ne pas perdre la main et de rassurer nos potes qui n’arrêtaient pas de nous demander quand on allait par pondre ce nouvel album (rires). C’était une manière de dire qu’on était toujours là. On a fait la batterie en mai 2012, on a enchaîné avec les guitares. Pour le reste, j’ai tendance à être très perfectionniste : j’ai composé mes lignes de basses et les ai enregistrées, j’ai écrit les textes qui manquaient, car Pierre en avait déjà écrit une bonne partie, puis il m’a fallu écrire mes lignes de chant. Du travail couche par couche (rires). Puis les synthés sont arrivés en tout dernier.

Le virage musical est assez impressionnant, cette orientation Progressive vous est-elle venue naturellement ?

Oui, on a toujours écouté des tas de styles musicaux différents. Le premier album était Black Metal assez massif avec une légère touche symphonique, dans le deuxième album on avait commencé à intégrer quelques parties plus progressives, avec des sonorités particulières, avec des morceaux de plus en plus longs. On a toujours été intéressé par plein de choses en dehors du Metal, je suis un grand fan de Queen notamment, de Björk... mais on voulait toujours rester dans les codes du Metal. On n’a cependant jamais cherché à devenir un groupe de trve BM, même si on avait pris des pseudos (rires). Pour Éclats, c’était peut-être aussi le cliché de ne pas vouloir refaire une deuxième fois ce qu’on avait déjà fait. On a pris le temps de s’arrêter et on s’est dit qu’il fallait surtout faire ce qu’on avait vraiment envie de jouer, ce qui nous plaisait en tant qu’auditeur, et de réussir à en faire quelque chose d’homogène.

Du coup pour le live, j’imagine que vous devez privilégier les nouvelles compos ?

C’est vrai qu’on va s’axer plus sur les nouveaux titres, mais on n’oubliera pas les deux premiers albums. On n’est pas là pour jouer que des nouveautés. On fera des réarrangements pour les chansons du premier album, on est déjà en train de travailler dessus, pour fêter en quelque sorte ses dix ans.

Avec le départ d’Emmanuel Rousseau, vous allez vous organisez comment pour les concerts ?

On est parti dans l’optique d’utiliser des bandes, même si ce n’est pas l’idéal et que ça ne nous plait pas. Ce n’est pas un choix, mais une obligation pour l’instant. Pour l’instant, les morceaux tournent bien en répétition, et on va utiliser des samples pour le live. On a vu Shining hier et on sent l’apport d’un claviériste, ça permet vraiment de jouer librement. Jouer avec des bandes, ça oblige de jouer dans des rails que tu ne peux absolument pas quitter ! Un bon claviériste n’est pas ce qu’il y a de plus facile à trouver, mais on essaiera de trouver un remplaçant. Il faut quelqu'un d'ouvert musicalement et passionné de son. Le deuxième album était plus symphonique mais c’est quelque chose que je ne voulais pas répéter, je suis plus intéressé par du bidouillage sonore, de l'expérimentation, et c’est vraiment quelque chose que nous apportait Emmanuel.

Lorsqu'on écoute l’album en entier, on y perçoit de la théâtralité, notamment à travers les paroles qui ont un langage soutenu. C’est un peu comme si chaque titre était l’acte d’une pièce ?

Les textes n’ont pas été écrit comme un ensemble uniforme, même s’ils prennent un certain sens homogène mis bout à bout. On les travaille de façon vraiment indépendante, notamment car nous sommes deux, Pierre et moi, à écrire, tout en échangeant sur nos idées et ce qu’on souhaite exprimer. Pierre m’avait lâché ses textes dès 2012 ou 2013, assez tôt dans le processus de conception de l’album, et l’homogénéisation s’est faite sur la fin. Il y a donc des thèmes qui se retrouvent mis en avant dans l’album, alors que ce n’était pas du tout le choix initial.

Tout ça joue aussi beaucoup sur l’ordre des chansons j’imagine ?

Tout à fait ! Sur la deuxième partie du disque on a un enchaînement avec le titre Aux Éclats, que j’ai voulu écrire sur la notion libératrice du rire, pas le rire comique mais le rire que Georges Bataille, dont je suis un grand lecteur, appelle le rire total, un rire qui te fait sortir de toi et qui représente un moment d’éclipse totale de la pensée, et Bouffon Existentiel, écrit par Pierre, qui parle du personnage de Charlot, ce personnage à la foi tragique et comique, qui sait rire de ses échecs, qui se casse toujours la figure mais qui a un côté esthétique dans sa chute. Du coup, ces deux morceaux ont une certaine légèreté et c’était logique de les mettre ensemble. Au contraire le début de l’album, avec Incomplétude(s) et Nihil Incognitum que j’ai écrit, traitent de la solitude et de la recherche d’ensembles dans lesquels tu peux t’intégrer en tant que particule isolée. Et c’est Le Sens de la Terre, qui est un morceau très apaisé et calme qui sert d’intro aux morceaux qui traitent du rire. Voila un peu la structure qu’on a souhaité donner au disque.

Le choix de chanter en français, c’est parce que vous êtes fans de Vulcain et d’ADX ?

Alors non ! (rires) C’est un choix qu’on a fait très tôt au lancement du groupe, dès 2002 les textes étaient écrits, en français. C’est vraiment un choix afin de pouvoir creuser les textes et développer des choses, ce qu’on aurait été incapables de faire en anglais. Le langage est déjà un premier filtre, imposer un deuxième filtre à un texte avec une traduction en anglais, ça n’aurait pas de sens je trouve et ce serait super compliqué. Avec tous les moyens qui existent aujourd'hui, via internet notamment, c’est facile de proposer ou trouver des traductions pour les gens intéressés par le contenu. Ce chant en français fait maintenant partie de l’identité du groupe. Après je pense que beaucoup de gens prendront le chant comme un élément musical.

J’ai vu que vous aviez eu beaucoup de chroniques chez des confrères étrangers, presse papier et webzines, ça n’a pas eu l’air de les avoir dérangé, bien au contraire, non ?

Tout à fait. On a grandi dans les années 90 ou le Black Metal a pris une part importante dans notre éducation musicale dans ces années-là. J’étais fan de Satyricon, il y a plein de paroles en norvégien, j’y captais rien, Ulver non plus, Solstafir aujourd’hui en islandais pas mieux et j’ai découvert récemment Dir En Grey... Mais quand tu prends tous ces groupes, ou encore Rammstein, ils ont vraiment construit leur identité autour de ce chant dans leur langue maternelle, qui fait en même temps que ça ne sonne pas comme les autres. Paradoxalement on a de très bons retours auprès d’étrangers qui doivent trouver un côté exotique à notre musique, et les plus mauvais, ou moins bons retours, viennent majoritairement de médias français.

Comme vous avez écrit les textes à la fin, est-ce que la musique vous a influencé ou guidé quant au choix du vocabulaire ?

En fait Pierre a tendance à écrire en dehors de la musique, mais il y a toujours un travail d’adaptation après par rapport au texte brut, pour que ça colle niveau sonorités et aussi par rapport aux types de voix que je veux donner sur les différents morceaux. De mon côté, quand j’ai écrit les textes, j’avais vraiment la musique en moi, après avoir passé tout ce temps sur la guitare et la basse. Donc dès l’écriture j'ai bossé la forme de mon texte par rapport aux musiques, avec des sonorités et des tournures assez agressives, avec plein de "r", par moment, et d’autres passages plus doux.

Avant même sa sortie, Éclats était en streaming sur Youtube, pourquoi ce choix ?

C’était pour prévenir toute tentative illégale de mise à disposition et surtout de pouvoir faire découvrir la musique à tous. On avait eu un débat d’ailleurs pour savoir quelle serait la solution la meilleure en terme de qualité audio, mais il n’y en a pas, à partir du moment où la musique est compressée, comme c'est le cas sur Youtube ou Bandcamp, Soundcloud... On voyait donc ça simplement comme une porte d’entrée vers notre musique. Je pense que nos auditeurs savent que la musique que nous proposons nécessite d’être creusée, je n’imagine pas le gars avec un disque dur et 25 Go de mp3 en qualité pourrave dessus en lecture aléatoire. On a aussi travaillé l'artwork et le packaging et je pense que l’objet en tant que tel vaut également le détour.

Justement, vous avez utilisé une œuvre de Robert Le Lagadec pour illustrer la pochette d'Éclats ? Comment avez-vous découvert cet artiste ?

C’est un artiste qui a vécu dans le Sud de la région parisienne d’où nous sommes originaires et Pierre habite même juste à côté, et il le connaissait grâce à ses parents : il avait pu visiter le jardin où sont exposées ses statues. Il est mort en 2002, donc forcément on n’a pas pu le rencontrer, mais apparemment c’était un artiste qui avait eu de nombreuses opportunités pour exposer dans des musées, mais qui les avaient toutes refusées car il était réfractaire à tout ce qui était institutionnel. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas montrer ses sculptures, au contraire, c’est simplement que pour lui, leur place était en plein air, chez lui. Elles font 4 à 5 mètres de haut, c’est très impressionnant. Pierre a tiqué là-dessus quand on a commencé à chercher une idée pour l’artwork, et il nous a emmené voir ce fameux jardin. Ses sculptures étaient faites à partir d’acier fondu et de métaux de récupération, donc à base de matériaux laids, âpres, et il en faisait quelque chose d’esthétique. Il y a un aspect d’élévation dans ses œuvres et ça collait bien avec nos textes. On a tout de suite été sous le charme. Et ça a été également une très belle rencontre avec sa femme et son fils, qui continuent de faire vivre son oeuvre et qui nous ont ouvert leur porte.

Grum (Février 2016)

Interview préparée par Shades of God et Grum, menée par Grum et Sugizo et retranscrite par Grum.

Merci à Frédéric pour sa disponibilité et sa bonne humeur.
Merci à Roger et Replica Promotion pour nous avoir organisé cet entretien.

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