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Biographie

U2

C’est à l’automne 1976 que les 4 Irlandais de U2 se rencontrent au lycée de Mount Temple (Dublin), le batteur Larry Mullen Jr dépose une annonce à laquelle répondront, entre autres, ceux qui deviendront les membres pérennes de U2 : Paul Hewson (chant), Dave Evans (guitare) et Adam Clayton (basse). Paul adopte Bono pour nom de scène, et surnomme Dave « The Edge » parce qu’il « reste toujours en marge des choses, comme un observateur… ». Le groupe enregistre quelques démos, pour enfin sortir en mars 1980 leur premier album, Boy, qui connaît uniquement un succès local, en hommage à leur débuts, le groupe jouera régulièrement à chaque tournée la chanson I will follow , un de leur premiers succès. Un an plus tard en octobre sort le second album (quelque peu bâclé), October. Le single Gloria assure un succès dans les charts.

Il faudra attendre 1983 pour la consécration du groupe : le célèbre album War avec en tête d’albums 2 hymnes incontournables, Sunday Bloody Sunday et New Year’s Day. L’album connaît un succès inattendu, probablement du a la grande polémique autour de Sunday Bloody Sunday, interprétée à tort comme une chanson vengeresse des catholiques du Sud, alors que le groupe se place toujours du coté de la paix entre catholiques et protestants.A la fin de l’année, un album live, Under a Blood Red Sky, est publié, et témoigne de l’extraordinaire puissance de War en live.
En 1984 parait l’album The Unforgettable Fire, avec en pièce maîtresse Pride, chanson dédiée à la mémoire de Martin Luther King et qui s’inscrit plus que jamais dans les idéaux pacifistes du groupe.En 1985, U2 participe au Live Aid, concert caritatif pour la faim en Afrique.The Joshua Tree sort en mars 1987. L'album devient quasi immédiatement n°1 de tous les charts, battant même le record de vitesse de ventes en Grande-Bretagne. Aux Etats-Unis, on atteint le million d'albums vendus en moins de 3 semaines. Ce succès unanime fait de Joshua Tree l'album de la consécration mondiale pour le groupe, et, pour beaucoup, le meilleur de tous. Octobre 1988, sortie de l’album mi-live mi-studio Rattle and Hum, boudé par la critique (jugé trop prétentieux) mais plébiscité par le public qui retrouve l’esprit à la fois conquérant et admiratif du groupe (hommages divers à Elvis Presley, collaboration avec BB King…).

S’ensuit une longue période de repos et de remise en question pour le groupe, qui manque de se séparer…Heureusement, en 1991, U2 décide de changer de son, et boucle en quelques mois l’autre pièce maîtresse de leur œuvre, Achtung Baby, aux influences plus electro et pop. Le single One remporte un franc succès. Exit les tournées au décor simpliste, l’accent est mis maintenant sur le show, le groupe se lance dans une auto-caricature avec la tournée mondiale ZooTV, qui durera un an et demi, entre les 2 parties de cette tournée sort le petit album Zooropa, Ovni electro-rock plutôt réservé aux fans, à l’exception de la superbe chanson Stay (faraway, so close) au clip signé par Wim Wenders. Le groupe sort épuisé de cette période, après quelques participations et singles de-ci de-là, en 1996, le groupe rentre aux studios pour préparer le prochain album, Pop, qui sort en mars 1997. S’ensuit une autre immense tournée mondiale, presque aussi déjantée que la précédente, le PopMart Tour qui s’achèvera en 1998 au Japon.
La tournée sauve l’album, qui est un des moins aimés des fans et de la critique, notamment l’émouvant concert donné au Chili, en dépit des mesures draconiennes de sécurité, ou Bono fera monter sur scène les mères de familles déchirées par les combats, pour entonner avec lui le refrain de Mothers of the Disappeared.

Puis le groupe décide, en 2000, avec l’album All That You Can’t Leave Behind, de se ressaisir, de sortir de la caricature de « groupe à stades » et de revenir à plus de sobriété. Le pari est plutôt réussi, All that… est un album tout en douceur, à l’opposé de l’image que donne le single Elevation, en B.O. du film Tomb Raider, et la tournée Elevation Tour est basée sur la simplicité, avec un Bono plus sérieux que jamais. En 2004, parait How to Dismantle An Atomic Bomb, à la fois plus énergique (Vertigo, véritable bijou en live) et plus triste (Sometimes you can’t make it on your own, chanson écrite par Bono à la mémoire de son père décédé en 2001) que le précédent. Le Vertigo Tour démarre début 2005 par les Etats-Unis, plus l’Europe en été.

U2 attend ensuite 5 ans pour revenir dans les bacs avec No Line On The Horizon, avec une tournée de deux qui verra notamment le groupe se produire sur le toit de la BBC. L'inspiration n'est cependant pas forcément au rendez-vous sur ce nouveau disque, les Irlandais ne jouant d'ailleurs que (relativement) peu de morceaux de celui-ci. En 2014, arrive Songs of Innocence, 13e album studio du groupe, porté par la tournée Innocence and Experience. L'album Songs of Experience est sorti en novembre 2017.

10 / 20
5 commentaires (11/20).
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Songs of Experience ( 2017 )

De l’auto-tune, Kendrick Lamar et Lady GagaU2 a enfin complété sa mue. Désireuse de coller au son de son époque depuis le début des année 2000, la bande à Bono s’est certainement dit que le mieux était d’y aller à fond et de laisser de côté le cynisme qui caractérisait le groupe. A visage découvert sur Songs Of Experience, U2 n’en est malheureusement pas beaucoup plus intéressant que sur ses sorties précédentes. Si l’on peut donc apprécier cette "fraîcheur" toute relative, les morceaux qui l’illustrent sont à peine à la hauteur du peu d’espoir que nous laissaient les Irlandais à l’issue de Songs Of Innocence.

Love Is All We Have Left aurait pu être touchante sans l’utilisation du plus insupportable des outils de la musique contemporaine (l’auto-tune susnommé, mais vous l’aurez deviné). Get Out Of Your Own Way, un peu ringarde, ne retire pas grand chose de la participation du talentueux et (trop ?) prolifique Kendrick Lamar, rendant la pareille au featuring du groupe sur son dernier album. Présent à la fin de ce morceau, le rappeur de Compton lance ensuite American Soul. Nouvelle preuve de la fascination bien connue de Bono pour les Etats-Unis, le titre a le mérite de transmettre une énergie que l’on ne retrouve que de façon éparse sur le reste des morceaux (You’re The Best Thing About Me, The Blackout ou Red Flag Day). Pour le reste, on passe de l’agaçant (Lights Of Home, Summer Of Love avec Lady Gaga, The Showman, difficile à supporter jusqu'au bout…) au banal (The Little Things That Give You Away, Love Is Bigger Than Anything In Its Way). 13 (There Is A Light), qui conclut l’album, a le mérite d’une certaine sobriété et laisse un arrière-goût moins désagréable que ce que le reste de Songs Of Experience aurait pu faire craindre.

Ce quatorzième album studio de U2 sera-t-il la dernière pierre à l’édifice ? Si les concerts du groupe restent d’assez grands moments, ses disques ont depuis longtemps cessé de nous passionner. Reste cependant dans la discographie du quatuor une petite dizaine d’opus qui auront marqué leurs époques respectives, fait de U2 le plus grand nom du Rock pendant au moins dix ans, placé Dublin sur la carte du monde et inspiré un nombre conséquent de suiveurs. Longtemps chef de file, allant là où son inspiration le portait, U2 défrichait, avançait sans se soucier de rien, étonnait. Si ces jours sont depuis longtemps révolus, l’âme du groupe reste dans chacun des morceaux de BoyWar ou Achtung Baby, chapitres d’un livre dont la fin n’aura pas été à la hauteur de nos attentes, mais qui aura tout de même réussi à nous tenir un bon bout de temps en haleine. Espérons que le dernier chapitre en a été écrit.

8 / 20
6 commentaires (9.75/20).
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Songs of Innocence ( 2014 )

Du gavage. C’est le premier mot qui vient à l’esprit au moment d’aborder la sortie du treizième album de U2 qui, un mois avant sa sortie physique, s’est retrouvé comme par magie dans les bibliothèques iTunes de tous les heureux possesseurs d’un appareil de la marque à la pomme. Une méthode évidemment critiquable mais surtout symptomatique d’un groupe devenu, même pour ses plus ardents thuriféraires (dont l’auteur de ces lignes), de plus en plus difficile à aimer. Il était donc compliqué, après ce premier contact forcé, d’avoir un a priori positif sur Songs Of Innocence et de l’envisager avec bienveillance. Les « hohoho » du premier single, The Miracle (Of Joey Ramone), ne font d’ailleurs que renforcer l’impression d’être pris pour des imbéciles. A l’aide notamment de Danger Mouse et du producteur des Black Keys, U2 propose un agglomérat de sonorités en vogue, des riffs Garage inoffensifs de ce premier morceau au dégoulinant The Troubles, sur lequel les Irlandais convoquent la Suédoise Lykke Li.

Entre les deux, une succession de morceaux sans âme, si l’on excepte peut-être l’hommage de Bono à sa mère décédée, Iris (Hold Me Close), qui éveille pendant quelques minutes notre intérêt, sans doute machinalement à cause du delay caractéristique de la guitare de The Edge. Il était plus simple, auparavant, de supporter les « dérives » vocales de Bono lorsque le quatuor faisait preuve d’une inspiration à la hauteur de ce qu’un groupe comme U2 est (était ?) capable de produire. Il est désormais difficile de ne pas être immédiatement fatigué par ses envolées (Volcano, California (There Is No End To Love)). L’ennui et l’agacement rivalisent sur ce disque qui veut à la fois revenir aux racines New Wave/Punk du groupe et baigner dans l’air du temps pour ne surtout pas donner l’impression d’être dépassé par les événements.

La plupart des chansons tournent en rond (Every Breaking Wave, Song For Someone, Raised By Wolves) et les moments où l’on se dit que quelque chose pourrait se passer (Cedarwood Road, Sleep Like A Baby Tonight) tournent vite à la déception. Si les musiciens de U2 ne se sont jamais distingués par leur virtuosité, l’énergie qui se dégageait de leur musique était nettement suffisante à mettre en valeur des morceaux, il est vrai plus inspirés, servis par une production qui en extrayait l’essence. Ici, tout semble pensé pour cacher la misère et rendre « l’expérience » si chère aux Irlandais la plus consensuelle possible.

Songs Of Innocence pourrait être la bande-son d’un après-midi dans un centre commercial, où toutes les boutiques se ressembleraient et où l’on finirait, sur un banc, à faire durer un Frappuccino en écoutant la musique d’ambiance avant de rentrer chez soi avec la désagréable impression d’avoir perdu son temps. Si U2 avait pour but de mettre en notes l’ennui d’une génération abreuvée jusqu’à plus soif de sons et d’images et seulement capable de les subir sans réagir, l’objectif est atteint. Cela n’étant manifestement pas le cas, reste une ligne supplémentaire dans sa discographie, et pas grand chose de plus…

9.5 / 20
3 commentaires (13/20).
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No Line On The Horizon ( 2009 )

Nous sommes en 2009 et U2 est toujours là. Après la déception How To Dismantle An Atomic Bomb, c’est avec un intérêt poli que l’on voit arriver ce nouvel album que les deux complices de longue date du groupe, Brian Eno et Daniel Lanois, ont produit. On nous promet des ambiances plus expérimentales et l’on se prend à rêver d’un Achtung Baby 2.0, où l’angoisse existentielle d’une génération aurait laissé place à une vision plus lucide et apaisée, mais tout aussi sincère, de notre monde. Des attentes élevées qui ne pouvaient malheureusement qu’être déçues. Tout n’est pas à jeter sur No Line On The Horizon, mais l’ensemble ne se montre encore une fois pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre des Irlandais. Si le sentiment n’est pas nouveau depuis le début du XXIe siècle, il devient particulièrement gênant lorsque l’ennui se fait ressentir à l’écoute de certains morceaux sans grand intérêt.

Difficile de ne pas bâiller lors des 7 minutes de Moment Of Surrender qui, même habillé de bidouillages Electro-Ambient, laisse une impression de vide. Même chose sur Unknown Caller, morceau ambitieux qui manque cependant d’aspérités et d’une mise en danger que le groupe savait pratiquer à merveille dans les années 90. Tout est très propre, ce qui peut être bienvenu lorsqu’il s’agit de mettre en valeur les rares moments d’émotion de l’album (White As Snow), mais qui dessert le groupe sur les morceaux plus ouvertement Rock (Get On Your Boots, Magnificent). L’envie de s’investir dans ce disque est grande, mais celui-ci finit par nous laisser tomber lorsqu’il bascule dans la caricature (I’ll Go Crazy If I Don’t Go Crazy Tonight ou Breathe, que l’on croirait construit à partir de bouts de morceaux de la discographie des Irlandais). Le travail d’Eno et de Lanois sur les textures sonores et les ambiances n’est pas désagréable en soi, il semble même à plusieurs reprises incarner l’essence du disque, mais les compositions peinent tellement à sortir du lot que la frustration et la déception finissent par prendre irrémédiablement le dessus.

Il n’y a effectivement  pas grand chose de neuf à l’horizon, comme l’illustre très bien le morceau-titre, c’est le moins que l’on puisse dire. U2 a toujours, depuis le début de sa carrière, su vivre avec son temps. Mais reste-t-il pertinent pour autant ? C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre depuis le début de la décennie, tant le quatuor semble paradoxalement écrasé par le poids de sa réputation tout en étant libéré de toute pression artistique. Le résultat est, au mieux, mi-figue mi-raisin, au pire anecdotique. No Line On The Horizon se range dans la seconde catégorie. Si le constat peut paraître sévère, c’est qu’il est nourri d’espoirs déçus et de la sensation d’avoir été abandonné par un groupe qui donne désormais l’impression très dérangeante de n’avoir plus rien à apporter.

11.5 / 20
4 commentaires (16.13/20).
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How To Dismantle An Atomic Bomb ( 2004 )

U2 a longtemps été un groupe de rock qui faisait tout son possible pour ne pas en jouer. Avec How To Dismantle An Atomic Bomb, les Irlandais décident qu’il est temps de s’y mettre et livrent un disque paradoxalement nettement plus sage et lisse que tout ce que le quatuor a pu proposer depuis les premières décharges Cold-Punk de Boy. Le groupe n’a plus rien à prouver et semble par conséquent libéré à la fois de l’urgence et de la pression qui ont caractérisé l’enregistrement de la plupart de ses dix albums précédents. All That You Can’t Leave Behind avait déjà montré que Bono&Cie souhaitaient dorénavant privilégier une certaine efficacité qui pouvait rapidement prendre l’allure de la facilité. Une impression qui parcourt How To Dismantle An Atomic Bomb d’un bout à l’autre.

Si le résultat est très propre, avec une production qui ne laisse rien dépasser, l’excitation s’y fait rare et laisse la place, sur une majorité de morceaux, à un ennui poli (Sometimes You Can’t Make It On Your Own, Crumbs From Your Table). Single matraqué dans les mois précédent la sortie de l’album, Vertigo n’a besoin que de quelques écoutes pour passer d’emballant à agaçant. Les intentions sont là, U2 tient vraiment à nous faire vibrer en alternant titres taillés pour les stades et ballades intimes sur lesquelles Bono ne peut malheureusement pas s’empêcher de basculer dans la mièvrerie (A Man And A Woman). City Of Blinding Lights, et ses faux airs de Where The Streets Have No Name, est très loin d’en avoir les qualités et tourne dans le vide, desservie par des choeurs proches de l’insupportable. Rien n’est foncièrement mauvais musicalement parlant, la section rythmique est à son aise et The Edge remplit consciencieusement l’espace de son delay, mais rien ne sort vraiment du lot. Plus « risqué », Love And Peace Or Else a le mérite de nous secouer et de faire naître en nous l’espoir que le meilleur est à venir sur ce disque qui finit par n’en plus finir. Des titres comme Miracle Drug ou Original Of The Species relèvent d'ailleurs davantage de la caricature qu’autre chose. Passage mystico-héroïque obligé chez Bono, Yahweh finit de nous convaincre qu’il est temps de passer autre chose…

Ce manque d’inspiration, qui se confirmera sur les albums à venir, ne suffit pas à faire de How To Dismantle An Atomic Bomb un mauvais album en tant que tel, mais le rend simplement anecdotique. Evidemment, le « c’était mieux avant » est la solution de facilité à l’heure de revenir sur le U2 des années 2000. Une formation au sommet du rock mondial doit-elle continuer coûte que coûte à sortir des disques ? La logique commerciale répond par l’affirmative, les attentes des fans certainement également. Ne pas apprécier la trajectoire prise par un groupe que l’on suit depuis toujours est une épreuve à laquelle sont confrontés tous les amateurs de musique. Elle peut se franchir en tentant de remettre en question ses préjugés sur ce que l’on attend de lui. En revanche, s’ennuyer à ce point est quelque chose de très difficile à dépasser…

13 / 20
5 commentaires (15/20).
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All That You Can't Leave Behind ( 2000 )

Ironiquement, c’est après avoir appelé, de façon relativement mensongère, son album précédent Pop que U2 choisit de se conformer à un genre qui peut facilement être considéré de façon péjorative. Car All That You Can’t Leave Behind est un véritable album Pop-Rock, taillé pour la radio, laissant de côté une ambition artistique qui, sur les deux dernière sorties du quatuor, avaient cependant tendance à s’éparpiller. Il transpirait néanmoins de Zooropa et de Pop une spontanéité et une fraîcheur plus qu’appréciables pour un groupe de la dimension de U2. Un son et des morceaux beaucoup plus calibrés et consensuels font de cet album une cassure assez nette dans la carrière des Irlandais. La photo de la pochette, sur laquelle on les voit dans un hall d’aéroport, illustre-t-elle des hommes d'affaires dorénavant constamment entre deux avions ? Symbolise-t-elle un groupe en attente de l’inspiration et de la destination à suivre ? Difficile de répondre à cette question, tant All That You Can’t Leave Behind s’avère être à la fois efficace et frustrant, sincère et opportuniste…

On a très envie de croire Bono et de se joindre à lui quand il nous affirme que nous vivons une belle journée et qu’il ne faut surtout pas la laisser filer. Beautiful Day ouvre en effet l’album de façon particulièrement enthousiasmante, indiquant d’entrée que U2 a décidé de ne pas trop se compliquer la vie et de jouer la carte d’une simplicité dont il n’était pas si coutumier auparavant. Profiter du moment présent, volontairement ou pas (Stuck In A Moment You Can’t Get Out Of), tel est le fil rouge du disque, dont qualités ou défauts sont malheureusement atténués, pour les premiers, ou mis en exergue, pour les seconds, par une production relativement fade et passe-partout. Très en avant, la voix de Bono prend le dessus sur le reste, ne laissant que peu de place à la section rythmique et à The Edge, qui n’avait jamais été aussi en retrait. Les guitares n’ont pas disparu (Walk On), elles se font juste plus discrètes. Si l’ensemble est plutôt cohérent, on ne peut s’empêcher de grimacer à l’écoute de certains morceaux peu inspirés et faisant davantage figure de faces B que d’incontournables (In A Little While, Wild Honey). L’agaçant Elevation, s’il fut un tube, n’ajoute franchement rien à la légende d’un groupe qui, pour la première fois dans sa discographie, donne par moments l’impression d’assurer un service minimum.

Ambassadeur perpétuel de la bonne volonté sur Terre, Bono pousse régulièrement le curseur assez loin dans cette direction, en témoigne un Peace On Earth dont les intentions sont louables mais dont le rendu mielleux finit par fatiguer. Les moments d’émotion se font rares, mais sont présents, comme sur Kite, un morceau qui commence de façon relativement banale, qui gagne en sincérité et en tension au fil des secondes et qui s’avère être l’un des temps forts du disque. L’anecdotique When I Look At The World ouvre la voie à une fin d’album plus contemplative et minimaliste. Pendant froid et désabusé du vibrant Miami de Pop, New York baigne dans une ambiance prenante et provoque une étincelle bienvenue, avant un Grace malheureusement très plat qui conclut l’album sur une note plus que mitigée.

Frustrant, tel est décidément l’adjectif qui convient le mieux à All That You Can’t Leave Behind, qui confirme que U2 a pris la décision ferme et définitive de ne plus vraiment se mettre en danger et de profiter d’un confort qu’il attendait manifestement avec impatience.

15 / 20
7 commentaires (12.21/20).
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Pop ( 1997 )

Peut-on continuer à prendre au sérieux un groupe qui règne sur le rock et qui décide d’appeler son nouvel album « Pop », tout en livrant un disque marqué avant tout par la musique électronique, la culture des boîtes de nuit et le plaisir désabusé d’une fin de décennie ressemblant surtout à une fin de soirée un peu morose ? Difficile de donner une réponse assurée à cette question qui semble être le fil rouge de ce neuvième effort studio de U2, tant les Irlandais brouillent les pistes jusqu’à s’y perdre eux-mêmes. Entre ironie et remise en question, Pop illustre parfaitement la trajectoire d’un groupe qui, après une période particulièrement intense de sa carrière, a décidé de prendre les choses plus à la légère, quitte à laisser l’impression d’un travail bâclé. Cette désinvolture, liée à la fois à l’état d’esprit du quatuor et au retard pris dans les sessions d’écriture et d’enregistrement, rend l’album attachant, faute d’être vraiment abouti.

Pop, c’est plusieurs salles et plusieurs ambiances. Discotheque et Do You Feel Loved lancent la soirée sous le signe de la danse et de l’abandon, avec succès pour le premier et plus laborieusement pour le second. Heureusement, la claque Electro-Rock Mofo vient nous sortir de notre torpeur de la plus belle des manières. Hypnotisant, le morceau prend aux tripes, avec un Bono particulièrement touchant et une fusion des genres qui prouve que U2 ne se contente pas de faire de la récupération (The Chemical Brothers et The Prodigy sont au sommet à cette époque), mais est capable d’apporter quelque chose de frais et de pertinent. Alternant passages plus intimistes (If God Will Send His Angels, If You Wear That Velvet Dress) et morceaux plus lumineux (Staring At The Sun, Gone), U2 donne parfois l’impression de servir des faces B (Last Night On Earth, The Playboy Mansion), mais avec suffisamment de sincérité pour rendre l’expérience agréable malgré tout.

C’est en allant au bout de ses idées, aussi improbables soient-elles, que le groupe se montre finalement le plus excitant. Sur Miami, où a été enregistré une partie de l’album, U2 met en musique une ville, une vibration et une aspiration pour accoucher d’un morceau puissant et dérangeant. Si les synthétiseurs et les boites à rythme se taillent la part du lion sur Pop, les guitares restent présentes, souvent triturées, mais jamais ignorées. Grand moment d’émotion de l’album, Please vient contrebalancer la superficialité qui transpirait de la plupart des autre morceaux, comme une façon pour les Irlandais de nous montrer qu’ils sont encore et toujours capables de nous retourner, même quand leur humeur générale est au badinage.

Pop marque la fin d’une époque. Au fond d’eux, les quatre membres de U2 savent déjà que le passage à l’an 2000 va signifier pour eux un retour à des choses plus « sérieuses ». « Wake up dead man », chante Bono pour conclure l’album, conscient que ce qui est à venir n’aura certainement plus la même saveur, ni pour lui, ni pour nous.

14.5 / 20
8 commentaires (12.25/20).
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Zooropa ( 1993 )

1993. U2 est sans contestation possible le plus grand groupe de rock du monde. Le Zoo TV Tour remplit les stades du monde entier où Bono, en maître de cérémonie schizophrène, incarne le meilleur et le pire d’une époque où l’image prend le pas sur tous les autres moyens de communication et de création. Les Irlandais savent qu’ils peuvent dorénavant tout se permettre et profitent d’un répit de quelques mois avant de reprendre la route pour retourner en studio. Les expérimentations y sont de rigueur et l’électronique, qui symbolisait sur Achtung Baby la "mise à jour" du quatuor, y joue un rôle prépondérant. Disposant de créneaux limités, U2 joue la carte de la spontanéité et va livrer, moins de deux après son chef d’oeuvre, un disque atypique. Témoignage de son époque, Zooropa est un zapping sur toutes les facettes d’un groupe qui profite de l’occasion pour donner corps à ses envies, aussi saugrenues puissent-elles paraître. Qui aurait pu penser que les Irlandais ouvriraient un de leurs albums avec un morceau électro-progressif, très réussi au demeurant, comme Zooropa ? Qui aurait pu imaginer entendre The Edge déclamer de la sorte sur le cybernétique Numb ? « Don’t think, don’t worry, everything’s just fine », rassure tout de même le guitariste, incitant l’auditeur à se laisser porter par l’énergie du disque plutôt que de s’échiner à le disséquer à tout prix.

Zooropa est l’album d’un groupe qui semble redouter plus que tout de trop se prendre au sérieux. Si une certaine dose de mégalomanie est de rigueur lors de ses concerts, U2 joue ici une carte plus intime, acceptant même de se tromper, mais en gardant constamment à l’esprit ce besoin de continuer à avancer, sous peine de céder sous son propre poids. Aventureux (Zooropa, Lemon, Daddy’s Gonna Pay For Your Crashed Car) ou plus sages (Stay (Faraway, So Close!), The First Time), les Irlandais varient les ambiances, évitant ainsi tout sentiment d’ennui malgré certains morceaux loin d’être mémorables (Babyface, Some Days Are Better Than Others). Sommet émotionnel de l’album, Dirty Day fait office de rappel : U2 reste capable d’écrire du rock intense et écorché, mais le réduit à la portion congrue, préférant s’amuser à explorer des ruelles moins (bien) fréquentées. 

Bono a souvent convoqué la mémoire de ses idoles, Elvis et Martin Luther King en tête. The Wanderer, qui conclut l’album, est avant tout l’opportunité pour lui d’en inviter une en chair et en os, Johnny Cash. Sur une instrumentation douteuse, l’Homme en noir prouve que son charisme peut rendre n’importe quel morceau presque écoutable et donne une leçon de présence, créant également un pont entre deux générations qui semblent avoir autant à apprendre l’une de l’autre. Zooropa illustre quasiment en direct la mutation d’un groupe qui commence à envisager également, à visage découvert, sa musique comme un pur vecteur de divertissement. Enfant d’une mondialisation naissante, Zooropa est le symbole d’un U2 décomplexé, prêt à aller où bon lui semble au risque, par moments, de s’égarer.

18.5 / 20
9 commentaires (18.06/20).
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Achtung baby ( 1991 )

L’orée des années 90. Le monde a changé. Un mur est tombé. Après être allé au bout de sa fascination pour l’Amérique et ses mythes, U2 regarde à nouveau vers l’Europe, alors en proie à un bouleversement majeur. Les Irlandais, qui ont laissé leurs fans dans le plus grand doute après un disque un peu bancal (Rattle and Hum), décident de faire table rase et profitent de cette période de changement pour se réinventer. « Sans Achtung Baby, nous ne serions plus là aujourd’hui », a plus tard déclaré Bono, conscient de l’importance d’un disque né dans la douleur, mais qui a finalement bel et bien marqué son époque. Achtung Baby est la bande-son d’un monde partagé entre crainte et espoir, vibrant d’énergie mais encore traumatisé. C’est en se rendant pour plusieurs semaines à Berlin, dans un studio aussi froid qu’imposant, que U2 a pris le risque de se confronter à ses propres angoisses. Faute d’inspiration, les Irlandais ont dû aller chercher ailleurs, triturer à la fois leurs compositions et leur son, pour livrer, une fois revenus en Irlande, leur album le plus cohérent et abouti.

Déstabilisant au premier abord, Achtung Baby s’inscrit cependant immédiatement dans son époque. C’est la voix déformée, sur Zoo Station, que Bono annonce la nouvelle profession de foi du quatuor ("I’m ready for the laughing gas, I’m ready for what’s next"). U2 s’aventure là où il n’a jamais mis les pieds auparavant, convoquant synthés, samples et boîtes à rythmes, rendant sa musique plus dansante que jamais. Il s’agit toujours de rock, aucun doute à ce sujet, mais un rock qui délaisse les grands espaces pour les caves et les entrepôts désaffectés. La production métallique et tranchante fait merveille et les morceaux se succèdent de façon imparable, laissant l’impression d’un album destiné à être enregistrer de cette façon. Ce sentiment d’évidence est renforcé par la qualité de l’interprétation. Bono n’a jamais aussi bien chanté (qu’on le veuille ou non, One reste un moment de magie), les guitares de The Edge explorent l’espace, même lorsque celui-ci est confiné (The Fly). La somme des quatre membres du groupe reste pourtant bien supérieure à leurs talents respectifs. Si l’enregistrement d’Achtung Baby a mis au jour des tensions inédites au sein du groupe, le résultat final en fait le symbole de ce qu’un géant du rock mondial peut produire lorsqu’il se trouve dos au mur. L’urgence du superbe Until The End Of The World se transforme en abandon sur Ultra Violet (Light My Way), puis en extase sur Love Is Blindness. Entre temps, les tubes s’alignent, comme Even Better Than The Real Thing, le funky Mysterious Ways ou Who’s Gonna Ride Your Wild Horses. Et que dire d’Acrobat, certainement l’un des morceaux les plus sous-estimés du groupe, sur lequel chacun des quatre musiciens nous offre une performance touchée par la grâce.

Avec Achtung Baby, U2 a voulu à la fois retrouver la flamme et attraper le train de l’histoire. Si la démarche peut paraître intéressée, elle a débouché sur un album qui, encore aujourd’hui, fascine par sa richesse, sa pertinence et son intensité.

13 / 20
6 commentaires (14.17/20).
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Rattle And Hum ( 1988 )

1988 : U2 est au sommet et la tournée consécutive à la sortie de The Joshua Tree a rempli les stades et les salles du monde entier. Le groupe, d’humeur créative, décide de lui donner un petit frère sous la forme d’un album « mixte » mêlant compositions originales et titres enregistrés en concert. Après avoir livré un disque particulièrement sérieux, les Irlandais abordent ce projet de façon nettement plus excentrique et l’associent à un documentaire retraçant leurs pérégrinations outre-Atlantique. A leur façon, le film et l’album sont tous deux bancals, mais ont le mérite de témoigner de l’état d’esprit d’un groupe flirtant déjà, de façon consciente, avec la mégalomanie. Comme l’on s’en rendra compte trois ans plus tard, c’est également une formation sur le point de se réinventer presque totalement qui laisse derrière elle, dans le tumulte d’une tournée qui la dépasse, son obsession pour la musique américaine. En reprenant Bob Dylan (All Along The Watchtower), en conviant B.B. King (When Love Comes To Town) ou en laissant Jimi Hendrix allumer la mèche d’un Bullet The Blue Sky incandescent, Bono et U2 rendent d’abord hommage à leurs idoles.

Les Etats-Unis, berceau du Rock et du Blues, reçoivent sur Rattle and Hum un hommage aux airs de remerciement. La chorale Gospel qui vient accompagner I Still Haven’t Found What I’m Looking For et le fantôme de la grande Billie Holiday qui hante Angel of Harlem sont la preuve que U2 n’hésite pas à saluer ses influences. S’ils ne laissent pas un souvenir impérissable, les morceaux inédits restent tout de même, pour certains, dignes d’intérêt, en particulier lorsque le groupe prend son temps pour y travailler l’ambiance (Hawkmoon 269, Heartland) ou retrouve une émotion palpable (All I Want Is You, cousin de With or Without You). Comme l’illustre la photo ornant la pochette, la guitare de The Edge est particulièrement à l’honneur, dès un Helter Skelter gardant le côté abrasif de l’original des Beatles, ou encore sur une version live inspirée de Pride (In The Name of Love).

Rattle and Hum tient la route grâce à l’enthousiasme qui s’en dégage. Tel un placard où les Irlandais auraient rangé la matière ayant servi à modeler leurs deux albums précédents et dans lequel il faudrait faire de la place pour la suite, U2 fait l’inventaire de ses envies passées, quitte à transformer le disque en vide-grenier. Il reste agréable de chiner sur cet étalage qui, s’il propose à boire et à manger, illustre l’ambition dont fait preuve le groupe et explique en grande partie pourquoi ces obsessions, parfaitement canalisées, ont pu donner naissance à The Joshua Tree. Tout sera cependant rapidement soldé tant le passage à la décennie suivante va marquer un changement de cap radical dans la carrière du quatuor.

18 / 20
7 commentaires (16.07/20).
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The Joshua Tree ( 1987 )

L’Amérique a toujours fasciné ceux qui cherchaient un idéal, une possibilité, un espoir. Comme nombre de leurs compatriotes lors des décennies précédentes, les quatre Irlandais (enfin trois Irlandais et The Edge) de U2 n’ont pas fait exception à cette vague traversant l’Atlantique. Après avoir flirté avec le mythe sur The Unforgettable Fire, le groupe décide de s’y abandonner totalement sur un album qui va symboliser à la fois la fin d’une certaine innocence et le changement de statut définitif d’une formation désormais vouée à se produire sur les plus grandes scènes et à tutoyer la démesure. Sur la pochette de The Joshua Tree, U2 semble pourtant un peu perdu, Bono regardant dans une direction très différente de celle que fixent ses compères. L’immensité quasi désertique d’un parc national comme celui qui donne son nom à l’album, si elle attire de nombreux esprits en quête d’ouverture, peut aussi provoquer une angoisse réelle face au champ des possibles qu’elle offre.

C’est pourtant dans son antre de Windmill Lane, à Dublin, que U2 enregistre le disque. Une façon, peut-être, de garder un contact avec la réalité au moment de graver l’album total que le groupe semble porter en lui depuis War. L’ambition dont fait preuve le quatuor sur The Joshua Tree est incontestable. Inspirés par leurs voyages aux Etats-Unis, les Irlandais évoquent aussi bien l’aspiration de chacun à la liberté (Where The Streets Have No Name), la fatalité de chaque relation amoureuse (With or Without You) ou la spiritualité (In God’s Country). Le groupe ne tombe cependant pas dans l’admiration stérile et consacre une bonne partie du disque à la partie cauchemardesque d’un rêve trop souvent idéalisé avant d’avoir été vécu. « Je n’ai toujours pas trouvé ce que je cherche », clame Bono avec sincérité, pointant ensuite du doigt les dérives d’un pays aussi contradictoire qu’attirant, tout en installant un parallèle avec les crises traversées par une Europe qui s’essouffle (Red Hill Mining Town). L’incandescent Bullet The Blue Sky, dénonçant dans le bruit et la fureur l’hypocrisie de la politique étrangère américaine, est l’un des morceaux les plus incroyables de toute la discographie de U2. Son enchaînement avec le magnifique Running To Stand Still, qui évoque la dépendance à la drogue et ses conséquences, offre aussi les textes les plus émouvants écrits par Bono (« You got to cry without weeping, talk without speaking, scream without raising your voice »). Une émotion palpable également sur One Tree Hill, l’hommage du groupe à Greg Carroll, l’assistant du chanteur qui a perdu la vie à moto peu de temps avant l’enregistrement.

Sur le fond, U2 voit donc grand, très grand. Sur la forme, le groupe opte en revanche pour une certaine simplicité dans la structure des morceaux, laissant la production de Brian Eno et Daniel Lanois emmener le tout dans un univers qui semble aussi infini que les notes de guitare de The Edge. Cette alliance entre démesure et intimité, qui fait de The Joshua Tree un grand disque, laisse même la place à l’expérimentation (Exit) et s’incarne complètement dans le poignant Mothers of the Disappeared, complainte métallique qui laisse déjà présager de la façon dont se réinventera le quatuor à l’orée des années 90.

15 / 20
7 commentaires (14.86/20).
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The Unforgettable Fire ( 1984 )

Il n’aura fallu que quelques mois à U2 pour laisser derrière lui War, la guerre froide, l’Europe déchirée et tourner son regard vers la terre de tous les possibles. Car si The Unforgettable Fire a bien été enregistré en Irlande (à Slane Castle et Windmill Lane) avec un pape, britannique, de l’ambient et de la musique expérimentale (Brian Eno), c’est bien aux Etats-Unis que Bono et ses compères ont l’esprit. Ce qui frappe dès les premières secondes de l’album, c’est la légèreté et l’optimisme qui se dégagent de morceaux qui semblent à des années-lumières de titres comme Seconds, New Year’s Day ou Like A Song… Le son n’est plus le même. L’architecte Eno permet à la musique du groupe de s’élever, de prendre de l’ampleur, quitte à perdre de vue certaines des préoccupations ayant guidé ses trois premiers albums. Contemplant à bonne distance le rêve américain, Bono, qui rêve d’être à la fois Elvis et Martin Luther King, semble prendre conscience que son futur se dessine de l’autre côté de l’océan Atlantique. « We run and we don’t look back » (« Nous courons sans regarder derrière nous ») chante-t-il sur A Sort Of Homecoming, profession de foi d’une formation qui comprend que son île ne pourra pas longtemps la retenir.

Si toutes ses compositions ne sont pas inoubliables (comme l’indigeste et presque embarrassant Elvis Presley And America), The Unforgettable Fire bénéficie d’une cohérence, sur le fond et sur la forme, qui en fait une étape importante dans la discographie d’un groupe qui s’apprête à prendre une dimension que peu de gens lui auraient prédite deux ans auparavant. Le travail effectué sur les guitares, toujours reconnaissables entre mille, de The Edge donne à la fois de l’épaisseur et une sensation d’apesanteur à des morceaux ciselés par Brian Eno et l’ingénieur du son Daniel Lanois. Comme si le géniteur de Music For Airports s’était laissé entraîner par la fougue du quatuor, tout en gardant en tête la nécessité d’aboutir à un rendu subtil et précis. Car outre les guitares, la rythmique jouit également d’un traitement de faveur inédit pour Larry Mullen Jr. et Adam Clayton, ce dernier étant au centre du funky Wire, titre particulièrement sous-estimé sur lequel Bono s’aventure même à jouer avec les mots (« Innocent, and in a sense I am », « Cartoon cutout, Cut throat let out »). Preuve du sentiment de liberté qui règne lors des sessions d’écriture et d’enregistrement, cette spontanéité donne son charme à l’album, qui compte également sur plusieurs moments héroïques. Evidemment, l’hymne Pride (In The Name Of Love), relatant notamment le combat du pasteur King et d’autres figures de la lutte pour les droits civiques, est un grand moment du disque. S’il est devenu depuis l’un des titres les plus emblématiques de U2, et l’un des riffs les plus marquants de The Edge, il ne doit pas faire oublier des morceaux comme Bad ou The Unforgettable Fire, sur lesquels l’émotion reste au premier plan. Les « interludes » Promenade et 4th Of July, autres symboles de l’influence d’Eno sur l’album, apportent de nouveaux ingrédients aux recettes du groupe, tout comme MLK, qui conclut l’album en alliant minimalisme et ferveur.

Tout indique que U2 est prêt à compléter sa mue et à laisser libre cours à ses pulsions d’évasion et de grandeur. Les éléments mis en place par le groupe et son producteur sur The Unforgettable Fire sont ceux que l’on retrouvera trois ans plus tard sur son successeur. Il faudra cependant pour cela partir en quête d’un arbre pas comme les autres, dans un désert aussi inhospitalier qu’inspirant.

17.5 / 20
12 commentaires (17.25/20).
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War ( 1983 )

Tout commence par un regard. Celui du petit garçon qui, sur la pochette de Boy, partageait avec nous son innocence et son inquiétude. Trois ans plus tard, il semble avoir vécu ce que d’autres expérimentent en une vie. Sévère, déterminé et pourtant toujours fragile, il porte à la lèvre une blessure qui illustre autant la violence du monde qui l’entoure que celle du passage à l’adolescence. A l’image du groupe dublinois, il semble avoir grandi trop vite, ressentant avant tout le besoin de laisser éclater sa rage à la face du monde. Avec ce troisième album, U2 crie haut et fort son indignation, persuadé que les mots les plus simples sont les plus efficaces. War, la guerre, un mot et une notion que les Irlandais choisissent à la fois pour décrire ce qui les entoure en ce début des années 80 et pour illustrer le déchirement intérieur qui résulte du conflit, du combat, de la souffrance.

Avant d’être l’album emblématique d’un groupe et d’une époque, War est avant tout un acte de maturité. Après les tâtonnements d’October, U2 sait dorénavant où il va, même s’il sait que la voie à emprunter va le confronter à ses angoisses et à celles de sa génération. Face à un monde qui se déchire en Europe de l’Est, en Amérique du Sud ou chez lui en Irlande, le quatuor semble n’avoir d’autre choix que de s’impliquer, quitte à y laisser des plumes. War n’est pas un album parfait de bout en bout, mais il bénéficie d’un souffle et d’une conviction qui en font un chapitre marquant de l’histoire du rock engagé. Oui, U2 offre un disque politique. Oui, U2 deviendra dans les années qui suivront le symbole d’un engagement surmédiatisé et objet de toutes les railleries. Oui, U2 remplira des stades et vendra des camions de disques, faisant de ses membres des multimillionnaires, tout en dénonçant la faim dans le monde. Ces contradictions ne doivent pourtant pas faire oublier à quel point la musique du groupe est sincère. La batterie militaire de Sunday Bloody Sunday porte un hymne déchirant où Bono, habité, relate le tragique « dimanche sanglant » de Derry, en Irlande du nord, et s’interroge sur notre incapacité à apprendre de nos erreurs. New Year’s Day, qui fait référence au mouvement de révolte du syndicat polonais Solidarnosc, est un vibrant témoignage d’espoir et reste, aujourd’hui encore, d’une puissance d’intacte (« And so we are told this is the golden age/ And gold is the reason for the wars we wage »).

Si l’on excepte le très moyen Red Light, le reste du disque multiplie les moments de bravoure. The Edge continue à polir son jeu de guitare, misant moins sur le delay et élargissant sa palette sonore. Larry Mullen, métronomique, joue la carte de la sobriété sur des rythmiques martiales et efficaces. Adam Clayton parvient à se faire une place de plus en plus importante, apportant un peu de rondeur à une production acérée. Moins inspiré par la ferveur religieuse que sur October (si l’on excepte la conclusion "40"), Bono livre une prestation impressionnante, nourrie par l’importance des messages qu’il délivre. Seconds fait office de compte à rebours avant l’apocalypse nucléaire (« It takes a second to say goodbye ») tandis que Like A Song… réveille en nous le besoin de réagir face à la marche impitoyable de l’histoire. Le crépusculaire Drowning Man et le très beau Surrender incarnent le moment d’espoir, ténu mais bien réel, qui suit toute catastrophe (« And if I wanna live I gotta die to myself someday »).

34 ans après sa sortie, War peut malheureusement toujours se considérer à la lumière de l’actualité. « How long must we sing this song ?», questionne Bono dans Sunday Bloody Sunday. La réponse semble évidente…

13 / 20
3 commentaires (17/20).
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October ( 1981 )

Après le Big Bang Boy, la matière originelle a rapidement commencé à se répandre dans l’univers naissant de U2, à l’expansion aussi chaotique que les coupes de cheveux arborées par les Irlandais sur la pochette d’October. Un an tout juste après son premier album, le groupe revient en effet avec un disque déroutant, bancal, laissant dans la bouche un goût d’inachevé malgré quelques moments d’inspiration indéniable. Il faut dire qu’October est né dans des conditions particulièrement difficiles. Tiraillés entre leur carrière naissante et leurs croyances, Bono et The Edge s’éloignent un moment de la musique au profit de la religion, avant de finalement retrouver le chemin du studio et de graver ce deuxième chapitre à la tonalité d’ailleurs très spirituelle. En outre, Bono égare à l’époque une valise contenant de nombreux textes, les retravaillant dans l’urgence et modifiant ainsi de façon significative la direction prise par le groupe et son producteur Steve Lillywhite.

L’incertitude est par conséquent présente d’un bout à l’autre d’October, qui navigue entre exultation religieuse et questionnements existentiels. « Oh Lord if I had anything, anything at all, I’d give it to you », clame Bono sur Gloria, dont le refrain scandé partiellement en latin donne le ton d’un disque qui voit U2 enrichir sa musique d’effets et d’instruments qui, malheureusement, diluent en partie l’intérêt de morceaux qui ont souvent l’allure de démos améliorées (With A Shout (Jerusalem), I Fall Down, Stranger In A Strange Land). D’autres titres s’avèrent cependant plus efficaces, comme I Threw A Brick Through A Window ou October, ce dernier et son piano permettant de découvrir une facette très différente du quatuor et démontrant que Bono peut s’exprimer dans un registre plus sobre sans perdre en émotion, à l’opposé d’un Rejoice agaçant de maniérisme. Fire, surproduit, recèle pourtant quelques très bonnes idées mais illustre parfaitement le paradoxe d’un groupe qui semble encore partagé entre l’énergie qui brûle en lui, le poids de ses influences, Siouxsie and the Banshees et Joy Division en tête, et une indécision permanente qui n’était certainement pas présente au moment d’écrire et d’enregistrer Boy.

Le syndrome du deuxième album prend donc chez U2 des allures de crise de foi, donnant l’occasion au groupe de se purger de ses doutes en les confrontant directement, de se mettre à nu sans se soucier de flirter avec le mauvais goût, d’espérer secrètement que de cette expérience douloureuse naîtra quelque chose de plus beau, de plus exaltant. « Is that all you want from me ? » questionne Bono sur la dernière piste, laissant planer à l’époque un doute sur le futur du quatuor tout en annonçant de façon prémonitoire ce qui va suivre. Car U2, loin d’avoir livré tout ce que l’on attend de lui, s’apprête alors à choisir ses combats et à s’engager sur le sentier de la guerre…

17 / 20
8 commentaires (13.94/20).
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Boy ( 1980 )

Boy est un album touché par la grâce. Celle d’un groupe qui a su allier innocence et révolte pour bâtir le socle du reste de sa discographie et devenir l’un des groupes les plus importants de l’histoire du rock. Celle de quatre lycéens de Dublin qui ont dû se battre pour avoir le droit de graver ces 11 titres d’une sincérité et d’une évidence folles. Celle d’une entité qui a très vite compris que les prouesses techniques n’étaient rien à côté de l’énergie qu’elle était capable de générer. Influencé par la vague post-punk britannique, U2 parvient cependant à s’en détacher pour livrer sa propre vision du monde. Le passage à l’âge adulte du petit garçon illustrant la pochette est le fil rouge de ce disque, et l’angoisse qui l’accompagne est exprimée, plus ou moins directement, de la première à la dernière seconde. "A boy tries hard to be a man", chante Bono sur l’incandescent I Will Follow, exprimant tout autant la peur que l’impatience, constamment sur le fil et prouvant d’emblée qu’il n’est pas un frontman comme les autres. Capable de nous emmener avec lui au fond de ses névroses (l’enchaînement An Cat Dubh/Into The Heart), il parvient quelques secondes plus tard à se faire le porte-parole d’une génération dont le fatalisme est synonyme de liberté ("One day I’ll die, The choice will not be mine" sur Out of Control). The Edge dessine une trame à la fois rageuse et fuyante grâce à un travail remarquable sur les guitares, peaufinant morceau après morceau un style qui deviendra vite immédiatement reconnaissable.

Si l’introspection et le repli sur soi ne sont jamais loin sur Boy (The Ocean), U2 donne cependant l’impression d’être guidé par une force inarrêtable (Stories For Boys), qui laisse présager de la dimension épique que prendra plus tard la musique des Irlandais. Grand moment de l’album, Another Time, Another Place illustre la capacité du groupe à travailler davantage ses compositions sans leur faire perdre en intensité. Bono s’y montre impérial, faisant de sa fragilité un atout ("Being naked and afraid, In the open space of my bed"), tandis que The Edge, qui s’offre un rare solo, fait preuve d’une maîtrise et d’une justesse impressionnantes. Egalement capable d’une démonstration de puissance, U2 flirte même avec le metal sur The Electric Co., instant cathartique et libérateur sur un disque qui, s’il touche au but dès les premières écoutes, demande du temps pour livrer certains secrets qu’une telle ardeur juvénile pourrait camoufler.

U2 est dans le moment, ne semblant pas se soucier d’un futur plus qu’improbable et livrant un témoignage aussi personnel qu’universel. C’est là tout le talent d’un groupe qui parvient à faire de la période la plus difficile à vivre pour chacun d’entre nous un moment de prise de conscience, sans mensonges ni faux-semblants.