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Biographie

Sunny Day Real Estate

Sunny Day Real Estate a la particularité de représenter le mot "histoire" à la fois avec un grand et un petit H. Avec un grand H, parce que Sunny Day Real Estate a tout simplement changé la face de la musique moderne en donnant naissance au milieu des années 90 à un nouveau genre – l’emo-indie – par un savant mélange d’emocore, d’indie rock et d’une pincée de grunge. Avec un petit H également, parce que c’est aussi en dehors même de sa carrière musicale, une histoire humaine riche et complexe entremêlée d’aléas, de doutes, de révélations et de séparations.

On fait – à juste de titre – de SDRE la figure de proue de l’emo "2e vague", celui par qui la popularité et la grande audience est arrivée, et ce, avant que Jimmy Eat World, The Get Up Kids et Dashboard Confessional ne viennent parachever la mue d’un courrant underground devenu phénomène de mode. La biographie a effectivement de quoi donné le vertige.
Jaillit dans l’early 90’s way de la scène de Seattle en 1992, SDRE s’est d’abord appelé Empty Set puis Chewbacca Kaboom, puis One Day I Stopped Breathing. Nom de groupe déjà existant, refus d’autorisation légale… SDRE avant d’être une appellation fut donc d’abord et surtout un quatuor, formé à partir des amis Dan Hoerner (guitare) et Nate Mendel (basse) qui jouaient ensembles dans leurs chambres d’adolescent, de William Goldsmith recruté pour jouer de la batterie et de Greg Williamson au chant. C’est dans cette disposition que le combo enregistre en 1993 avec ses propres économies deux 7’ : Flatland Spider et Thief, Steal Me a Peach.  Les natifs de Seattle optent alors pour le nom étrange de Sunny Day Real Estate. Comme bien souvent, chez les groupes légendaires, l’explication fait l'objet de controverses. Certains attribuent sa provenance à une parole du groupe Talking Heads, d’autres à un écrit du poète américain T.S.Eliot. Les références sont belles. Il est toutefois, plus probable, que le concept soit survenu dans la bouche de Nate Mandel, qui conversant sur l’évolution mercantiliste du monde aurait dit, qu’au rythme où les choses allaient, et en voyant comme tout devenait marchandable, il y aurait un jour des gens pour essayer de vendre "des jours ensoleillés". ("Real Estate" signifiant (agent) immobilier en anglais).
Mais Mendel décide à ce moment précis de prendre du recul, ce qui entraîne des modifications, Greg Williamson devenant l’ingé son (et plus tard le manager ) et Jeremy Enigk arrivant d’abord en tant que frontman avant de s’imposer très vite comme la tête pensante du groupe. Le quatuor chantait auparavant dans une veine hardcore, Enigk non ou plutôt, plus (car lui-même a fait parti dans sa jeunesse de formations HxC). Chez Enigk le chant est une corde détrempée par les ondées émotionnelles, une corde qui tend subliment vers l’abîme. Avec ce timbre unique et cette nouvelle profondeur de composition - les paroles nourrissant évidemment cette émotivité - le combo enregistre ses premières compositions new look. "Seven", "Song About An Angel" apparaissent. L’Histoire est en marche. Profitant de l’émergence de la scène de l’état du Washington, SDRE signe un accord avec Sub Pop Records, le label indie a qui on doit le "Seattle Sound" (Nirvana, Soundgarden, Mudhoney… tous sur son catalogue…) et enregistre son premier effort : Diary (1994). Les critiques sont enthousiastes, "Seven" (LE single) est joué dans le talk show populaire de Jon Stewart et le quatuor participe à l’émission "120 minutes" sur MTV. Tandis que la popularité du disque grandit, ses auteurs, eux, cherchent au contraire à perserver une forme de "clandestinité". Une seule photo est diffusée, une seule interview donnée, des infos fausses sont volontairement répandues. Le groupe s’auréole de mystère. On connaît très peu de choses à l’époque sur ses membres, on les voit refuser de jouer dans l’état de Californie sans connaître la raison.
En interne, les tensions éclatent, au rythme des tournées, et s’allongent avec les kilomètres. Il arrive même à Hoerner de ne pas se présenter sur scène certains soirs. Le point de rupture survient avec la conversion soudaine et profonde de Enigk au christianisme. Dans une lettre adressée aux fans, le frontman fait part de sa révélation et de sa volonté de mettre désormais sa musique à son service. Le reste du groupe refuse cette nouvelle orientation. Dans ce climat de fin inéluctable, SDRE enregistre malgré tout – pour les fans - ce qu’il pense être son dernier album – LP2 ou Pink selon les appellations – qui combinent des anciens et des nouveaux titres (1995). La voix de Jeanne Moreau se fait alors entendre sur la destiné des SDRE: "Chacun pour soi est reparti, dans le tourbillon de la vie". Dan se marie et part habité une ferme, Jeremy enregistre son premier album solo Return of the Frog Queen (toujours chez Sub Pop, 1996) ; Will et Nate rejoignent quant à eux le nouveau projet de Dave Grohl (Nirvana), Foo Fighters, pour les tournées. Mais les cendres ne sont pas tout à fait éteintes. Dan et Jeremy écrivent toujours ensembles et Sub Pop propose en 97 aux ex-SDRE de sortir une compilation de raretés. Mais ces inédits n’existent pas. Le quatuor décide donc de se réunir pour créer un véritable nouvel opus. C’est How it Feels to be Something on, produit dans la "ville berceau" par Greg Williamson. Il sort en 1998 et se place à la 126e place des ventes américaines. Jeff Palmer des Mommyheads y remplace Mendel à la basse. Sub Pop exploite alors le filon et tourne des vidéos live pendant la tournée. Le label en fait un Live CD/VHS (1999), en dépit de l’accord final du groupe sur certaines modalités. SRDE rompt alors et part à la recherche d’une autre maison de disque. Le processus est long, pénible et entraîne le départ de Greg Williamson. Le groupe signe finalement chez Time Bomb Recordings (une branche indépendante de BMG) afin de s’assurer l’indépendance de la création tout en ayant des moyens de conséquent de diffusion. C’est Lou Giordano, le mythique producteur d’Husker Du qui se charge de l’enregistrement du nouveau matériel intitulé The Rising Tide (2000).
Le groupe ambitionne alors une grande tournée en Europe, mais à la veille du départ, Time Bomb annonce au groupe son incapacité de financer ce projet. Le label met la clef sous la porte quelques mois plus tard, sonnant le glas des espérances de SDRE qui, désillusionné, met définitivement fin à son existence.

Depuis, Enigk (qui continue sa carrière solo avec notamment son récent et excellent World Waits), Goldschmit et Mendel ont créé The Fire Theft, tandis que Hoerner a travaillé avec Chris Carrabba (Dashboard Confessional). Quelques bruits courts de ci de là à propos d’une nouvelle réformation. To be continued, comme ils disent.
Reste au-delà de ces espoirs futurs, une place d’étoile déjà acquise pour SDRE au sein de la nébuleuse emo et un album – Diary - considéré par la majorité des spécialistes comme l’album le plus connu/marquant de l’histoire de l’emo (avec Clarity de Jimmy Eat World voire Something To Write About Home de The Get Up Kids).
Sunny Day Real Estate

Chronique

18.5 / 20
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Diary ( 1994 )

En créant l’abstraction en 1910 par son aquarelle dite "abstraite", Kandinsky ne fut pas seulement l’auteur de la première œuvre non figurative de l’histoire de l’art moderne, il fut aussi et surtout celui par qui la lucarne apparue. Cette lucarne, c’est celle qui fait appel à la faculté de juger avec les sentiments plutôt que par la raison.
L’emo de Sunny Day Real Estate est héritier de cet art abstrait, l’incarnation de ces mêmes dichotomies : Ressentir plutôt que comprendre, exprimer plutôt qu’expliquer ;
Etre plutôt qu’avoir.

L’Histoire (de l’emo) est un tumulte, Sunny Day Real Estate un de ses cris et Diary son manifeste. Paru en 1994 alors que le groupe n’a même pas encore bien fixé son appellation, propulsé en un éclair au rang d’album culte dès la diffusion du single "Seven", ce premier album a tout simplement donné naissance au courrant emo-indie en fusionnant deux styles et en insufflant pour la première fois à l’emo sa forme la plus fragile. Objet de vulnérabilité, bâti sans modèle et sans brouillon, dans l’aube d’une existence incertaine, l’opus porte la marque de ces confessions solitaires qu’on fait aux oreilles impassibles des feuilles blanches, à la tombée de la nuit.
11 élégies, 11 chemins emplies de douleur exprimés par des paroles elliptiques – certaines n’ont même parfois pas la force de s’achever ("Why…" dans "Grendel") - mais qui disent tout ("And I dream to heal your wounds, But I bleed myself, I bleed myself") ; comme si chaque mot contenait en lui-même sa propre fin. Des paroles déposées, dans cette forme si caractéristique du journal intime, qui traduisent la souffrance d’un Jeremy Enigk alors âgé de 20 ans, et dont la mélancolie en fera – comme Chateaubriand en son temps – le porte-parole du nouveau Mal du siècle, celui là même qu’on appelle désormais le Mal de vivre.

Et cela, Diary n’attend ni réponse, ni remède, Diary chute ; par le biais de la voix tombante de Enigk ("In Circles", "47") destinée à devenir LA voix/voie emo typique. Fragile, éclatée, quasi féminine ; traînée dans la note de chaque fin de phrase, comme une procession.

Mais non content de faire éclore cette émotion/song-writting révolutionnaire pour l’époque, Sunny Day Real Estate y ajoute en plus une touche propre, héritée de la scène foisonnante de Seattle. Pour la première fois, le quatuor superpose ainsi du spleen, non plus sur un dérivé de Hardcore, mais sur un rock mid-tempo empruntée à la mouvance indie-alternative ("Round", "The Blankets Were The Stairs", "Shadows"). De là l’apparition d’une musique plus douce et plus berçante qui va trouver immédiatement une grande audience. La différence avec une pop sans profondeur se fait alors par le traitement de la musicalité - fine, gracile, évolutive - et par l’utilisation exutoire de la sensibilité qui donnent aux soupirs des cordes et à la langueur du chant un accord harmonique unique (Cf. le sensationnel diptyque de fin : "Grendel/Sometimes").

Au final, rares sont les chroniques qui voudraient autant se limiter à la seule mention "écoutez".
Diary est l’œuvre emo par excellence, le "Impression Soleil Couchant" du mouvement version 2e vague, la réponse à la question de la définition de l’emo.
Il suffit d’ouvrir sa première page et de laisser agir. Tout y est.

A écouter : ...� lire, � vivre...