Nous sommes des spectres, nous sommes légions. Nous errons dans les landes nordiques, glacées et désolées. Nous nous réfugions au sein des plus profondes forêts et des plus sombres cimetières. Le temps n’existe plus pour nous ; tous est figé, les années passent sans plus rien signifier, piégés que nous sommes en une perpétuelle agonie. Nous sommes les amants du désespoir, les destructeurs du bonheur. Partout où nous passons, nous semons les germes du malheur, et ne reste alors que le néant.
Ceci est notre monde, un monde connu seulement des créatures de l’ombre qui gisent dans les entrailles de la terre, putrides et gluantes. Rien n’a de sens ici. Plus rien ne sera jamais pareil. Il faut oublier tous ses repères gagnés au cours d’une existence oubliée, le mot vie n’étant déjà plus qu’une vague impression sans aucune signification. Il n’y a aucun espoir, aucune lumière. Seules prédominent les ténèbres d’un tourment éternel.
Perdus dans le noir, seuls nous parviennent des sons étouffés, menaçants, envoûtants. Seraient-ce les démons qui parfois hurlent de leurs voix sépulcrales pour annoncer l’apocalypse ? Sont-ce les voix de la Terre qui se meurt, est-ce le tonnerre qui au loin retentit ? Est-ce le brouillard qui susurre des paroles inarticulées ?
Serai.... Hum... Heu oui bon, trop de lyrisme tue le lyrisme. Il n’empêche que ce Ligfaerd (« marche funèbre ») s’y prête particulièrement, tant le sieur Nortt a mis encore davantage l’accent sur l’ambiance de son disque, à un degré encore jamais atteint dans toute sa discographie, et il y a pourtant de quoi faire. A tel point d’ailleurs, que sa musique n’est plus du Funeral Doom mais bel et bien de l’ambient ; finies les guitares, finie la batterie, fini, heu... tout le reste. Ne subsistent que les claviers et la voix, ce qui fait qu’aux premières écoutes, cet album apparaît comme extrêmement minimaliste, voire carrément trop. Les fans de Doom plus conventionnel seront ainsi nombreux à ne voir ici qu’un concept bateau faussement intellectuel.
Il serait pourtant franchement réducteur de penser que Nortt s’est contenté de nous pondre une galette remplie de vide. Ainsi après quelques écoutes supplémentaires, on est frappé par la capacité de Nortt à canaliser ce qui semble être l’incarnation du désespoir, comme s’il avait réussi à en capter l’essence même, le vrai, celui dans lequel on sombre, duquel on ne se relève pas, celui qui précède la fin de tout.
Grâce a une alchimie simple mais ô combien efficace de nappes de claviers menaçantes et éthérées & d’une voix monolithique, écorchée et effrayante noyées dans un brouillard de distortion, Nortt réussit à captiver l’auditeur attentif qui perd alors toute notion de temps, plongé dans une rêverie magnifique de noirceur.
Cet album arrive donc comme un réel contrecoup à tout ce qui se fait actuellement en Doom, tant Nortt s’éloigne des clichés gothico romantiques pour restituer le désespoir à l’état pur. Avec ce nouvel opus, il va encore plus loin dans sa démarche nihiliste pour proposer un album d’une qualité rare qui demande du temps afin d’être pleinement apprécié. Nortt confirme avec Ligfaerd, huitième chapitre d’une discographie exceptionnelle, qu’il figure bien parmi les groupes les plus innovants de la scène Doom, à rapprocher de ce qui se fait en Drone / Ambient. Il renvoie du même coup à leurs études bon nombre de formations prétendant savoir ce qu’est le désespoir. Un grand album en cette année 2006, encore une fois.
A écouter : Dans le d�sespoir des derniers instants