Biographie

Igorrr

Igorrr a cette précieuse et rare faculté à démontrer à travers sa musique que les genres n’existent pas, sans produire un simple et vulgaire pot-pourri. A la fois isolé et fin connaisseur d’un spectre artistique global rassemblant la musique dans son entièreté, il explore l’extrême en donnant un nouveau souffle au breakcore, parmi les premières évolutions electroniques intellectuelles à avoir dynamisé le mouvement, mais aujourd’hui émoussé. Depuis trois albums, ce minutieux constructeur d’arrangements millimétrés prouve que le genre n’est qu’un vecteur permettant de passer à la moulinette rythmique toutes sortes de timbres sonores, d’attributs stylistiques en les écrabouillant pour n’en garder qu’un concentré direct et sans équivoque. Explorant plus loin encore que ce qu’a pu faire Venetian SnaresIgorrr produit un enchaînement de ces essences, télescopées violemment en une bouillie schizophrène et malsaine. Très influencé par le metal, milieu dans lequel il a vécu bien des expériences, il n’a aucun scrupule à sampler ou enregistrer ses plus extrêmes formes, en les acoquinant à la décadence de la musique baroque au sein de rythmiques jazz, techno, country, détruites au beat repeater, au hachoir compulsif, tapissant de déjections un art aussi aberrante qu’efficace. De ces idées loufoques nait une ambiance absurde, provocante, étrange, rappelant la folie des Carnival in Coal, sans avoir à rougir du savoir-faire des meilleurs fondateurs breakcore.
 

17 / 20
20 commentaires (13.48/20).
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Savage Sinusoid ( 2017 )

Après une collaboration électronique très réussie avec Ruby My Dear sur l'EP Maigre, et surtout cinq ans après Hallelujah, Igorrr est enfin de retour avec un nouvel album. Savage Sinusoid est le fruit d'un travail minutieux, qui a vu son maître à penser Gautier Serre changer d'approche quant à sa musique.

Comme sa signature chez Metal Blade Records pouvait le suggérer, ce nouveau long format du français est manifestement beaucoup plus orienté Metal que ses prédécesseurs, même si Igorrr a évidemment toujours eu un pied dedans. La guitare mène la danse sur une bonne pelletée de morceaux, avec des riffs empruntant autant au Death Metal de Morbid Angel qu'au Black Metal de Mayhem. Les parties Breakcore chaotiques avec moult coupures et autres déconstructions rythmiques façon Venetian Snares sont bien sûr toujours présentes, mais se contentent souvent d'accompagner les riffs. Et c'était plutôt le phénomène inverse qui pouvait s'observer sur les précédentes sorties.

Les ingrédients de la recette sont donc les mêmes, mais l'équilibrage est différent. Et le résultat est une brillante réussite. Toutes les bizarreries d'Igorrr sont ici utilisées pour construire d'excellentes chansons, accrocheuses, mémorables et originales. De la flûte à bec à peine juste qui conclut ieuD, à l'accordéon de Cheval, où l'on entend le musicien se tromper, puis recommencer sa prise ponctuée d'un "Ah putain, merde!", Igorrr fait feu de tout bois. Il vient même solliciter le tout aussi givré Aymeric Thomas (Pryapisme) pour teinter un passage de Chiptune endiablé. Feu de tout bois, on vous dit !

Igorrr, c'est aussi des voix hors-normes. Les cordes vocales de Laurent Lunoir et Laure Le Prunenec magnifient les morceaux soit de pure beauté (Problème d'Emotion), soit de rage franche (Opus Brain). C'est aussi cette dualité qui fait tout le charme de l'album, car Igorrr a su exploiter le chant à un niveau encore plus poussé. Tel un sculpteur, Gautier Serre arrive aussi à modeler le chant comme un instrument rythmique, et le cela donne des baffes courtes mais intense comme ieuD ou Viande, qui est une parfaite introduction dans l'album et sa folie canalisée en musique. On pourrait bien sûr regretter l'absence de performances belles à en frissonner comme Tout Petit Moineau, mais Savage Sinusoid marque tellement de points avec sa propre personnalité que la frustration s'évapore.

Enfin, impossible de ne pas évoquer la batterie de Sylvain Bouvier (Trepalium). Elle apporte un côté palpable et authentique que n'avait pas la musique d'Igorrr jusqu'à présent, en plus d'une touche supplémentaire d'agressivité terriblement efficace. Cela s'est d'ailleurs aussi constaté sur scène avec une interprétation certes moins débridée, mais beaucoup plus puissante et maîtrisée. De plus, grâce à la production exceptionnellement nette et naturelle du disque, chaque coup sur ce kit est ressenti comme rarement dans un album de Metal en 2017.

Vous l'aurez compris, Igorrr a ici frappé un grand coup, réalisant un parfait hybride entre metal, musique électronique et expérimentation loufoque. L'auditeur est pris en haleine pendant ces 40 minutes qui passent comme cinq, parfois confronté à plusieurs climats musicaux contradictoires dans un même morceau. C'est sans aucun doute une des meilleures sorties de cette année, qui donne une vision toute particulière du metal extrême.

A écouter : Viande, ieuD, Opus Brain, Problème d'émotion
16 / 20
16 commentaires (12.81/20).
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Nostril ( 2010 )

Réveil collectif. Igorrr existe. Igorrr nous plombe le derche copieusement. Le breakcore n’est pas mort, il est maintenant dopé. Ouf. Il aura fallu attendre la signature du clermontois chez Ad Noiseam pour qu’on entende enfin parler de lui et du bien qu’il fait à la musique dans sa globalité, au-delà d’une communauté metal qui était probablement celle à le connaître le mieux. Pas trop tôt. 

Igorrr est un de ces pourris qui démolissent la musique pour casser leurs sabots et outrepasser les jalons du conscient collectif, et il est même parmi les rares à produire un résultat aussi efficace que cérébral. Moitié de Whourkr, développant même son projet depuis plus longtemps que le duo tout aussi amphétaminé, Gautier Serre est en solo l’une des toutes meilleures entités artistiques que la France compte aujourd’hui, à bien des égards. Troisième enregistrement (en 4 ans), Nostril est probablement un tournant dans le parcours du bonhomme. Son caractère est aujourd’hui mature, ses différentes personnalités ont appris à cohabiter entre elles et force est de constater qu’il ne s’est jamais enfermé dans le genre qu’il a choisi, et en a fait, bien au contraire, un tremplin vers son esthétique reconnaissable entre mille au sein des sphères électroniques, incontournables qu’on le veuille ou non en cette fin de première décennie du XX°. Aujourd’hui, Igorrr a écrit son âme, il va maintenant la faire vivre. Traditionnellement, et à juste titre, décrit de concert par tout le corps de presse comme un projet breakcore tordant dans tous les sens enregistrements acoustiques, œuvres de musique baroque XVII-XVIII°, violence du metal et possibilités infinies du triturage de son, Igorrr atteint sur Nostril le plus fin équilibre de sa recette, remettant au premier plan l’essence même du breakcore, comme étant un outil, certes peu évident d’accès, de mélange musical de textures et matières de tous bords, parfois même opposés, qui, par un savant jeu d’agencement et de rythmique, se téléscopent pour une explosion d’improbable, une explosion de contrastes fortuits et une boule de surprises épileptiques. Cela, Igorrr le fait à merveille, mêlant ultra violence à des tirades baroques judicieusement choisies pour leur beauté lyrique, samplant raw black, finesse jazzy, hurlements tirraillés, blast-beat facial et accolant le tout à la sauce breakbeat spasmodique hyperactif sans se perdre. Au cours de Nostril, Igorrr montre qu’il ne part pas dans tous les sens, comme souvent dans le genre, et qu’il ne tourne pas pour autant en rond, comme souvent dans le genre là-aussi. Nostril est un capharnaüm traversant avec énergie un nombre incalculable d’univers, le temps d’un fragment que l’on ne remarque pas ou plus vaillamment lorsqu’il s’agit de faire vivre un contraste couillu pendant plus longtemps. Mais quels que soient les textures utilisées, on est tiraillés entre histoire poisseuse, barouf dissonant, beauté violente et émerveillement d’une si grande maîtrise d’un mélange aussi casse-gueule, jonglant avec l’irréel, l’absurde et bouleversant avec grand plaisir nos référentiels.

Nostril a l’air de faire l’unanimité depuis sa sortie, dans des milieux très différents les uns des autres, et cela ne traduit aucune prostitution artistique, mais bien le résultat d’une réflexion aboutie à une identité singulière, gage d’une connaissance raffinée de la musique dans son ensemble par son géniteur, qui prouve de fort belle manière que pour avancer en art, il faut maîtriser le spectre de l’existant et ne rien faire au hasard. Igorrr est aussi palpitant que l’était son illustre aîné Venetian Snares avant de s’embourber.

A écouter : si vous aimez l'originalité.