2012, retour de Graveyard, un peu plus d’un an seulement après le fameux Hisingen Blues, album phénoménal qui, associé à des prestations scéniques de feu, a permis au groupe de s’imposer comme l’un des plus éminents représentants de cette bonne vieille vague rétro-quelque chose. Seulement, le problème avec ce genre d’étiquettes, c’est de savoir quoi en faire. Continuer dans la même veine au risque de se répéter ou au contraire, partir explorer d’autres contrées, quitte à en perdre quelques-uns en route ? Autant le dire tout de suite, si Lights Out ne surprendra pas grand monde, il est toutefois possible qu’il en déçoive certains.
Car oui, certains vont gueuler, peut-être légitimement ; après tout, difficile de ne pas se sentir légèrement floué d’emblée avec un disque d’à peine une demi-heure à la jaquette noire… Plus sérieusement, après un album aussi riche qu’Hisingen Blues, on peut soupçonner Graveyard de l’avoir jouée un peu facile sur ce coup en proposant des titres beaucoup plus génériques qu’auparavant, tant au niveau du format (un seul au-delà des cinq minutes) que des thèmes, qui tombent parfois dans le bon gros cliché rock’n’roll, chose que Graveyard avait jusqu’à présent toujours su éviter, ou du moins avec laquelle il avait toujours su jouer. Or ici, on a droit à un rock’n’roll classique qui balance sur des thèmes éculés tels que la guerre (An Industry of Murder), la société de consommation (Goliath) ou encore l’autorité (The Suits, the Law and the Uniforms), qui réchauffe de bons vieux slogans ('I got the restless blues' sur Fool in the End, 'I wanna drink again' sur 20/20 Tunnel Vision…), voire qui vire carrément sirupeux avec Hard Times Lovin’, ballade sur la vie en tournée qui complique la vie amoureuse, soit un thème entendu une petite myriade de fois et qui plus est servi par des paroles bien plus mièvres qu’à l’accoutumée ('I know there’s days I’ll let you down/But we’re gonna make it through these hard times/See what tomorrow brings/Please love me and stay with me forever'). Du coup, Graveyard ne serait-il plus qu’un groupe parmi tant d’autres ?
Eh bien, techniquement oui, mais en fait non (si, si). Car malgré les paroles parfois simplistes, malgré la faible durée (et la pochette noire, oui), ça marche. Même moins inspiré, Graveyard est toujours follement efficace. Les fans de vintage seront ainsi comblés, puisque les Suédois font encore une fois étalage de tout leur talent dans le domaine, avec des titres complètement rock’n’roll et immédiatement accrocheurs. On peut dire que ce disque (tropcourtjaquettenoire) va à l’essentiel ; pas de fioritures, juste du bon gros ledzepinage à base de riffs bluesy à souhait, d’intensité folle et de refrains à reprendre en chœur (l’ouverture An Industry of Murder, le single Goliath, Fool in the End…). A ce titre, Endless Night sort du lot et s’impose comme une des pépites de l’album avec son tempo furieux et son refrain proprement irrésistible (‘I was born to endless night/All my trying is in vain/Some people think that I am mad/Because I’ve thrown away all that I had’). Le groupe signe également quelques titres plus posés, un genre où il excelle généralement, en attestent le très beau et presque pop Slow Motion Countdown ou le magnifique final sur 20/20 Tunnel Vision, deux titres où le chant est davantage mis en avant qu’auparavant. Et même Hard Times Lovin’ finit par faire mouche à force d’écoutes, un peu à l’image d’Uncomfortably Numb sur la galette précédente. Donc concrètement, Graveyard a trouvé son rythme de croisière et n’en déviera plus ?
Là encore, il s’agit de nuancer. S’il est possible de faire de Lights Out un (énième) hommage au rock, il ne faut toutefois pas occulter le fait que si l’écoute de ce disque donne la patate, celui-ci pue quand même bien la tristesse, et notamment celle liée à la solitude. Et c’est peut-être là le véritable fil rouge de cet opus : la solitude du musicien, loin des siens (Hard Times Lovin’), entouré de vautours (Fool in the End), conscient que tout ça n’est que provisoire (Slow Motion Countdown), proche de tout laisser tomber (Tunnel Vision et son dyptique désespéré et obsédant ‘Ain’t no light in my tunnel but the gold tooth in the Devil’s smile / I wanna drink again’). Même Endless Night, pourtant dopé à l’énergie, flirte avec le désespoir, celui du musicien qui ne peut s’empêcher de se consumer ('I’m going to war, to war with myself/Putting my head, my head on the shelf/I’m losing our battles all over again/I’m going to war, to war with myself'). On peut ainsi se demander si, par bien des aspects, Graveyard ne livrerait-il pas un disque beaucoup plus proche du blues que du hard rock. De quoi, peut-être, donner une signification nouvelle à cette fameuse jaquette noire ainsi qu’au titre…
Au final, Graveyard livre un album différent, mais tout aussi bon que ses prédécesseurs. Lights Out décevra peut-être ceux qui attendaient quelque chose de novateur et n’en retiendront que les aspects les plus classiques. D’autres salueront la sortie d’un disque plus riche qu’il n’y parait de la part d’un groupe souvent réduit au simple statut de vintage lover. Ceci-dit, même ceux venus précisément en quête d’un bon gros trip rétro seront comblés. Comme quoi, Graveyard est sympa avec tout le monde. Longue vie à eux.
Les clips de Goliath et Endless Night sont visibles sur le site officiel du groupe.
A écouter : Slow Motion Countdown, Endless Night, 20/20 Tunnel Vision