Biographie

Breach

Breach est formé en 1993 sur les cendres d’un groupe de punk suédois, Superdong. Pas étonnant, donc, que leur premier album, Friction, annonce comme couleur dominante de la discographie à suivre un punk-hardcore gras et très violent qui multiplie les surimpositions de guitares et deviendra de plus en plus mélodique et sombre ! Après quatre excellents albums et un EP, le groupe finit par se séparer sur son chef-d’œuvre absolu, Kollapse

Chronique

18 / 20
14 commentaires (18.79/20).
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Kollapse ( 2001 )

N’est-il pas frustrant qu’un groupe se sépare juste après avoir enfanté un chef d’œuvre absolu, qui couronne magistralement sa carrière et coiffe au poteau la plupart des efforts du même genre ? Vous en conviendrez, cela laisse mourir dans l’œuf l’espoir du mélomane de voir naître une suite encore meilleure, et ne manque pas de le plonger dans la nostalgie du temps où il attendait le prochain album avec une pointe d’anxiété confusément mêlée d’excitation…

C’est bien ce triste brassage de questions sans réponses et d’impression d’inachevé qui s’empare de mon être lorsque j’évoque Kollapse, le quatrième et ultime opus des Suédois injustement méconnus de Breach. En effet, ces derniers, habitués à vomir une haine indescriptible au travers de leur punk-hardcore dépressif, n’ont pas survécu à ce qui est sans conteste leur album le plus abouti, le plus mûr, le plus calme aussi, si tant est qu’un tel adjectif puisse s’accorder avec le sujet. Œuvre majoritairement instrumentale lorgnant sur le post rock, dans la droite lignée d’un NeurosisKollapse se distingue de ses prédécesseurs par l’intensité des sensations qu’il procure à l’auditeur aventureux aussitôt transporté dans l’obscurité d’un endroit inconnu, sale, chargé de souvenirs pénibles…

… un immense hangar désaffecté au sol recouvert d’un épais tapis de poussière, qui s’amoncelle depuis des années de stagnation. Quelques rayons de lumière blafarde s’insinuent dans des interstices de la toiture branlante, laissant apparaître ça et là des carcasses de machines industrielles rouillant dans l’inertie la plus totale. Succédant soudainement au lourd silence qui règne sur les lieux, des battements rythmiques provenant d’un coin du bâtiment se font entendre. Les ténèbres et l’écho sont tels que l’on ne parvient à localiser l’emplacement exact de la batterie au timbre tantôt clair, tantôt asphyxié, mais toujours oppressant, rappelant ISIS. Les martèlements accélèrent ou ralentissent sans crier gare, se font subtils puis furieux, et vont parfois jusqu’à s’effacer complètement (Big Strong Boss), témoignant d’une maîtrise, et surtout d’une sensibilité, qu’on tente vainement de nous cacher par un son glaçant.

Une à une, des guitares grasses, saturées, rejoignent le premier arrivé et remplissent la vaste surface avec une foule de petits riffs qui s’enlacent, s’imbriquent et se répètent à l’infini, jamais de la même manière. Bientôt, il semblerait que le hangar serve de repaire à des centaines de cordes orgiaques qui s’adonnent à une fornication savamment orchestrée. Les lignes se superposent et fusionnent dans une débauche de notes limpides ou huileuses selon que la montée en puissance est en cour, ou qu’elle aboutit sur un larsen orgasmique (Teeth Out). Les vitres de l’entrepôt délabré, pour la plupart fêlées, se mettent alors à vibrer en cadence, comme si le cœur du bâtiment, essoufflé par un long coma, connaissait un regain de vitalité.

Mais tandis que l’on suit du regard les fragments de verre qui se détachent des fenêtres et tombent avec fracas, faisant naître une volute de poussière dans l’atmosphère saturée de mélodies hypnotiques, on aperçoit parmi les débris jonchant le sol des témoignages sépia du passé de la bâtisse. Et alors un hurlement terrifiant déchire l’espace sonore, arraché à la gorge d’un écorché vif, maître de l’endroit et hôte de cette funeste symphonie de violence (Old Ass Player). Son cri, lacérée, se mue en pleurs, en complainte de loup aux abois, ou s’apaise et devient le récit d’une histoire, glauque, morbide, qui a fait de ce lieu un colossal sépulcre (Mr Marshall).

La confession s’achève sur une ultime explosion de hargne qui fait chuter le plafond et laisse se diffuser dans le bâtiment découvert une clarté suffisante pour trouver l’issue du sanctuaire et s’en retirer (Murder Kings and Killer Queens ).
Mais alors que l’on s’éloigne déjà, un clavier cristallin nous rappelle loin derrière, accompagné par le chœur des guitares, et l’on se retourne sur les ruines fumantes. A l’horizon, le soleil se lève à nouveau et irradie le bâtiment des doux rayons de l’aube (Kollapse). Et des gouttes de musique pleuvent sur la plaine désolée, qui bientôt reverdit comme si le printemps souhaitait rattraper ses années d’absence en ce lieu. Une couleur, puis deux… Un espoir qui renaît. Une innocence retrouvée.

Un album grandiose.

MP3 : Lost Crew

A écouter : Big Strong Boss, Teeth Out, Mr Marshall, Kollapse